Retour au gym
Notre hiver en dents de scie acérées était en train de torpiller mes résolutions. Tantôt je renonçais à ma séance de marche nordique le long du canal de Lachine parce qu’il faisait trop froid. Tantôt parce qu’il pleuvait. Tantôt parce que c’était trop glacé. Tant et si bien que mon objectif de 2000 kilomètres de marche en 2018 paraissait irréalisable avant même la fin du mois de janvier. Du coup, ma bedaine risquait de grossir à vue d’œil.
Ma belle-fille, une grande marathonienne devant l’Éternel, a dit : « Vous avez un beau gymnase. Vous pouvez en profiter quand il fait mauvais. » C’est ainsi que je suis retourné dans notre beau gym. Je l’avais fréquenté à notre arrivée dans notre nouveau condo. Mais les deux télés ouvertes, la musique, les voix, le bruit m’irritaient souvent. J’avais donc troqué la salle d’exercices pour le canal à deux pas.
Côté bruit, ça s’est beaucoup calmé depuis. Les écrans de télé sont encore ouverts, mais la plupart du temps sans voix. Ceux qui le désirent regardent la télé, mais avec sous-titres. S’ils veulent écouter de la musique, ils se branchent généralement à leur cellulaire et mettent des écouteurs. De plus, mon statut de retraité me permet de choisir des heures où la salle d’exercices n’est pas bondée.
Je m’entraîne surtout sur tapis roulant. Je peux ainsi varier les vitesses et l’inclinaison. Comme j’aime les gadgets, ça me branche. Je peux du coup mesurer mes performances et mes progrès. C’est ainsi que j’atteins l’expérience optimale, un état que Wikipédia définit comme « un sentiment de joie spontané, voire d’extase pendant une activité ». Ce concept, mieux connu sous le nom anglais de flow (qu’on traduit parfois en flux), a été élaboré par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi. Pour être honnête, je n’ai pas encore connu l’extase. Mais sur mon tapis, je me sens vraiment bien. C’est déjà ça.
Pour parvenir à cet état de flux, il faut relever un défi, mais le coefficient de difficulté ne doit pas être trop élevé, sans quoi le stress s’invite. Il faut également avoir des buts clairs et recevoir un feedback instantané. Toutes ces conditions sont réunies sur un tapis roulant.
Reste à dépasser l’ego, un défi peut-être plus exigeant encore, car je m’entraîne entouré de jeunes gens. Si je veux être pleinement satisfait d’atteindre les 7 km/h, il me faut impérativement éviter de regarder tout à côté ce jeunot qui, lui, dépasse allégrement les 10 km/h. D’autant que le jeunot en question est souvent une fille.
À la fin de ma séance d’hier, j’ai fait un peu de muscu. J’ai enchaîné quelques exercices simples, que j’ai dû apprendre de Ben Weider dans les années cinquante, avec des haltères de cinq livres. Tout à côté de moi, il y avait deux jeunes femmes qui manipulaient sans mal des haltères de dix livres tout en faisant des pas de gymnastique compliqués. Et je ne parle pas des mâles qui soulèvent bruyamment de grosses charges d’acier.
Dans ces moments, pépé doit se rappeler qu’il vient d’avoir 73 ans, pas 23.