Au début de l’année, je trouvais que ma vie allait bien mais que le monde, lui, se portait plutôt mal. Je me voyais glisser sereinement vers le grand âge. Mais l’avenir de la planète bleue m’inquiétait de plus en plus. J’en étais venu à me dire : heureusement que je vieillis, car l’avenir ne s’annonce pas rose. Si l’humanité est foutue, au moins je n’en verrai pas la fin. L’ennui, c’est que plus le monde se portait mal, moins j’allais bien.
Devant tant de pessimisme, j’ai éprouvé le besoin de donner un grand coup de barre. Je savais que certains penseurs estiment que l’humanité va beaucoup mieux que ce que les médias catastrophistes nous en donnent à voir. Il était temps d’aller jeter un œil sur leurs livres.
Je suis d’abord tombé sur le Français Jacques Leconte. Je n’avais pas fini de lire le premier chapitre du « Monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » que j’avais déjà rempli une pleine page de notes outrées. J’avais l’impression de lire un de ces jovialistes dont Yvon Deschamps s’était moqué jadis.
Je me suis ensuite plongé dans le dernier ouvrage du Suédois Hans Rosling, « Factfulness », à qui Alexandre Sirois a consacré récemment un bon édito dans La Presse. Ça ne manquait pas d’intérêt. Mais il y a chez cet auteur une volonté de convaincre qui peut être agaçante et qui a vite fini par m’agacer. Je veux bien être convaincu, mais je n’aime pas qu’on cherche à me prouver à tout prix que j’ai tort.
C’est alors que j’ai découvert Steven Pinker. On doit déjà à cet ex-Montréalais devenu professeur de psychologie à Harvard quelques ouvrages majeurs, dont « La part d’ange en nous », où il démontre, chiffres à l’appui, que le monde est de moins en moins violent. Dans son dernier livre, « Le triomphe des lumières », son chef-d’œuvre sans doute, il va plus loin encore. Il y soutient que l’humanité, en dépit de problèmes inévitables et de solutions imparfaites, ne s’est jamais mieux portée.
Le livre qui aura changé ma vie
Je vous vois déjà sourciller. Vous vous dites peut-être : il suffit d’ouvrir les journaux chaque jour pour avoir la preuve du contraire. C’est ce que je pensais aussi. Quelques milliers de pages plus tard, j’ai changé d’avis. Dans l’émission « La grande librairie », on demande au libraire de la semaine le livre qui a changé sa vie. Je me suis souvent demandé quelle serait ma réponse. J’hésitais entre « Les clochards célestes », de Jack Kirouac, et le « Plaidoyer pour le bonheur », de Matthieu Ricard. Mais ces deux choix me laissaient insatisfait. Désormais, je n’aurai pu le moindre doute. La livre qui aura changé ma vie, c’est ce « Triomphe des lumières ».
Je n’étais pourtant pas l’homme le plus facile à convaincre. Mais la force du Pr Pinker justement, c’est peut-être qu’il ne cherche pas à convaincre. « Je me contente de vouloir faire connaître l’état véritable du monde », dit-il, exposant son point de vue à l’aide de faits et de statistiques, et démolissant au passage les légendes urbaines. À vous ensuite d’appuyer, ou non, ses conclusions.
Voici quelques faits. « À l’échelle de la planète, disait-il dans un entretien au Monde, l’espérance de vie moyenne est passée en un peu plus d’un siècle de 30 ans à 71 ans. Dans les pays développés, elle dépasse les 80 ans. Les pires maladies infectieuses, comme la malaria, la pneumonie, la diarrhée, le sida, tuent de moins en moins de gens et sont en déclin. » Dans le livre, il ajoute que le taux de mortalité infantile a été divisé par cent.
« Le monde, souligne-t-il, devient en outre plus prospère, le taux d’extrême pauvreté a chuté de 75 % au cours des trente dernières années… Savoir lire et écrire était auparavant un privilège accessible aux plus fortunés, maintenant 90 % des moins de 20 ans sont alphabétisés. Les guerres sont également moins fréquentes et moins létales. Les famines sont plus rares. » Et en prime, aucune époque n’a été plus favorable à la culture que la nôtre.
Pinker nous annonce même « un scoop ébouriffant : le monde a fait des progrès spectaculaires dans chaque domaine mesurable du bien-être humain, sans exception ». L’ennui, ajoute-t-il, c’est que « presque personne n’est au courant ».
Ni optimiste ni pessimiste
Tout cela, bien entendu, ne signifie pas que le monde soit parfait, qu’il n’y ait plus rien à améliorer. Pinker refuse d’ailleurs de se dire optimiste, même si son ouvrage est un long et vibrant plaidoyer contre le pessimisme. L’auteur aborde avec beaucoup de franchise les problèmes actuels, reconnaissant volontiers que certains sont graves et pressants. Le chapitre consacré à l’environnement, par exemple, comprend à lui seul plus d’une centaine de pages. Il consacre aussi de nombreuses pages à la menace nucléaire ainsi qu’à Donald Trump, ce réactionnaire autoritaire dont l’élection, de son propre aveu, l’a inquiété.
Malgré tout, il réfute avec ardeur le pessimiste ambiant voulant que « l’état du monde se dégrade, alors même que le progrès existe de façon tangible ». L’idée clé de son ouvrage est que tous les problèmes, y compris les problèmes environnementaux, « peuvent être résolus », à condition de disposer des bonnes connaissances et de faire les bons gestes.
Selon lui, le pessimisme est dangereux. Pourquoi ? « Ce biais pessimiste, a-t-il expliqué au Monde, nous conduit au fatalisme, à croire que tout effort pour améliorer le monde est une perte de temps… Pire, ce biais peut aussi nous pousser au radicalisme… Dans la sphère politique, ce radicalisme a permis l’essor du populisme et l’élection de Donald Trump. »
« Le cynisme, a-t-il ajouté, s’est aussi installé, et il a, lui aussi, contribué à la montée du populisme. Plusieurs de nos concitoyens croient qu’il n’y a pas de différence entre les populistes et les centristes. Ils font le choix de l’abstention… Et ils permettent aux électeurs les plus radicaux de peser plus lourd. »
Dans « Le Triomphe des Lumières », Pinker présente la raison, la science et l’humanisme comme les meilleurs moyens de surmonter les défis de notre siècle. « Nous avons su créer, au cours du siècle des Lumières, deux précieuses institutions qui reconnaissent les limites de la nature humaine et fonctionnent de manière à permettre une amélioration de notre bien-être : la démocratie et les marchés. La démocratie prévoit des contre-pouvoirs et repose sur une déclaration de droits inaliénables qui empêchent un dirigeant corrompu d’abuser de son autorité. » Quant au « doux commerce », comme l’appelle le professeur, il a engendré des échanges internationaux qui ont rendu la guerre moins attrayante.
Pour Pinker cependant, rien ne s’oppose davantage aux idéaux des Lumières que les mouvements populistes actuels. « Tribalistes plutôt que cosmopolites, autoritaires plutôt que démocratiques, méprisants vis-à-vis des experts et peu respectueux du savoir, ils préfèrent la nostalgie d’un passé idyllique à l’espoir en un avenir meilleur. » Mais l’auteur reste convaincu que ces mouvements réactionnaires et passéistes ne feront qu’un temps et seront incapables de faire dérailler la course vers le progrès.
Quelques réserves
Mon enthousiasme pour cet ouvrage ne signifie pas pour autant que j’en appuie tous les points de vue. Je ne partage pas, par exemple, le mépris que Pinker manifeste à l’égard de l’agriculture biologique, qu’il présente comme sous-performante, mais dont les rendements se sont beaucoup améliorés au cours des dernières années. De plus, le bio règle d’un coup le problème des pesticides dangereux, ce qui n’est pas rien.
D’autres affirmations me laissent pour l’heure dubitatif. Par exemple, quand le chercheur vante l’essor de réacteurs nucléaires modulaires de quatrième génération. Tant mieux s’il est vrai qu’ils ne produiront pas de déchets radioactifs et seront plus sûrs. Mais ça reste à voir. Sa confiance à l’égard des technologies capables de capter les émissions de CO2 me semble aussi excessive, sa certitude que la croissance est soutenable ne me convainc pas tout à fait et je suis moins optimiste quant à l’échec du populisme.
Cela dit, il n’est pas nécessaire d’adhérer à toutes les opinions de Pinker pour être enthousiasmé par son travail. Comme l’ancien patron de Microsoft Bill Gates, j’y vois « un message d’espoir, la démonstration qu’il est possible de changer le monde, puisqu’il a déjà changé ».
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« Le Triomphe des Lumières », traduction française du livre « Enlightenment now », éditions des Arènes, Paris, 2018.