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Archives de juin, 2021

Né en 1945

Né en 1945

Ce n’est pas la fin

Paul à Long Beach.

À Long Beach, sur l’île de Vancouver.

Au milieu de la soixantaine, j’avais peur de mourir. J’y pensais souvent. Presque tous les jours en fait. J’étais obsédé par l’idée de ma finitude. Je me disais : l’espérance de vie chez les hommes de notre pays est de 78 ans. Il me reste donc théoriquement une douzaine d’années à vivre. Ensuite, j’ai appris que, lorsqu’on atteint 65 ans, l’espérance n’est pas de 78 ans, mais de 84 ans, car nous avons échappé à la mortalité infantile ainsi qu’aux maladies du milieu de vie. Je venais de gagner quelques années. N’empêche, il y aurait une fin et elle serait de plus en plus proche. Je me demandais comment on se sent quand on vieillit. A-t-on l’impression que la mort rôde ? Peut-on continuer à vivre sereinement ?

Un soir au restaurant, j’en ai parlé avec des amis très chers, Daniel et Louise. Cette dernière a fait une remarque qui m’a frappé. « Le problème, a-t-elle dit, vient de ce qu’on voit la mort avec nos yeux actuels. Mais au moment de mourir, notre regard sera peut-être complètement différent. » Son propos m’a fait réfléchir. Il est vrai que la perspective n’est pas la même, par exemple, quand on souffre du cancer depuis plusieurs années, que les traitements sont pénibles, que les douleurs sont intenses et que la qualité de vie a été réduite comme une peau de chagrin.

Peu à peu, j’ai commencé à moins m’en faire avec un dénouement dont je ne connaissais ni le moment ni les circonstances. Je n’avais pas pour autant atteint le détachement d’Épicure, qui nous incite à ne pas craindre la mort, disant : « L’homme et la mort ne se rencontrent jamais, car quand il vit, elle n’est pas là et quand elle survient, c’est lui qui n’est plus. »

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Un vieux heureux

Paul au mont Cardito.

Au mont Cardito, près de Rieti.

Pour être un vieux heureux, il faut, il est vrai, une bonne santé, toute sa tête, beaucoup d’humour et un goût intense du bonheur. Il est bien aussi d’avoir apprivoisé ses démons. Il est préférable enfin de ne pas avoir de soucis financiers.

Commençons par la santé. « Devenir vieux pourrait être un privilège, voire un supplément d’âme, écrit Laure Adler, à condition bien sûr que la maladie vous épargne. » Je suis d’accord avec elle. Si j’aime tant jusqu’ici les années de ma vieillesse, c’est en bonne partie parce que je suis en bonne santé.

Bien sûr, lorsqu’on atteint un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, il faut voir les médecins. Même en santé, on n’y échappe pas ; vérifications et mises au point s’imposent. C’est ainsi que j’ai baptisé l’automne la saison des médecins. C’est pendant cette période que je vois habituellement ma docteure, l’ORL, l’optométriste et l’ophtalmologiste. Je rencontre aussi mon sympathique cardiologue quand il n’est pas trop occupé. Mais il ne semble pas trop préoccupé par mon état de santé. Il faut préciser que j’ai passé avec succès le dernier test à l’effort, comme je l’ai déjà mentionné, que la dernière échographie était rassurante, que ma pression est parfaite et que mon rythme cardiaque est lent et régulier.

Voilà plus de dix ans maintenant que je n’ai pas fait une crise d’arythmie. À tel point que mon cardio m’a demandé quel était mon secret. Habituellement, les troubles du rythme s’aggravent avec l’âge. Il est vrai que j’ai subi avec succès en 2010 une opération pour corriger les emballements intempestifs du cœur. Mais les effets positifs ne dépassent habituellement pas cinq ans.

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La vieillesse, c’est super !

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Balade à Arches, dans le Sud-Ouest américain.

Il y a un peu plus de deux ans, mon cardiologue m’avait envoyé passer un test de résistance à l’effort. Test que j’ai réussi avec grande distinction, à tel point que la jeune femme qui le supervisait m’a lancé à la fin : « Un jeune homme de 73 ans ! » Vaniteux comme je suis, le compliment m’a fait plaisir, vous pensez bien ! Aussi ai-je dit le jour de mon anniversaire, quelques semaines plus tard : « Je suis un jeune homme de 74 ans », phrase que j’ai répétée souvent au cours de l’année qui a suivi.

Maintenant que j’ai 76 ans, je préfère dire que je suis un super vieux. Vous me ferez peut-être remarquer que je demeure dans la vantardise, et vous n’aurez pas tort. J’aime bien souligner, il est vrai, que je suis en pleine forme, du moins pour un homme de mon âge.

Cela dit, il y a une différence entre être un jeune homme de 76 ans et un super vieux de 76 ans. Dans le premier cas, le risque est de flirter avec le mythe de l’éternelle jeunesse. Or un mythe, ce n’est vrai que dans les légendes. Dans la vraie vie, les jeunes vieux ont bien du mal à cacher leurs cheveux gris, leurs rides, leur raideur ou leur lenteur. Et s’ils sont un peu honnêtes, ils ne pourront s’empêcher de constater que leurs performances physiques, si en forme soient-ils, déclinent lentement mais sûrement. Depuis un an, comme je l’ai raconté le jour de mon dernier anniversaire, j’ai souvent été frappé par le fait que pas mal de gens marchaient plus vite que moi. C’est drôle, mais avant ça n’arrivait presque jamais. Et là maintenant, on me dépasse allégrement.

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Le mystère de l’univers

mystère

Je ne suis pas revenu pour autant à l’athéisme de ma jeunesse. Je me définis maintenant comme un agnostique. « Ou, plutôt, comme le dit si bien le sociologue Edgar Morin, je crois que l’univers comporte un mystère qui échappe aux capacités de nos esprits. » C’est aussi ce que dit Hubert Reeves. « Sur le plan scientifique, la nature est extrêmement intelligente, a déclaré l’astrophysicien au journal Le Temps. Je pense qu’elle est infiniment plus intelligente que nous. Maintenant, si la question est de savoir si un grand architecte est présent, je ne crois pas au hasard, mais c’est une opinion personnelle. Je pense qu’il y a une présence intelligente. Mais quelle est-elle? Je n’en sais rien, même si cela m’intéresse énormément. »

On est très proche ici du Dieu de Einstein, qui est en fait celui de Spinoza. Ce n’est pas, tant s’en faut, le Dieu des religions révélées, un Dieu qu’on prie et qu’on implore. Ce Dieu ne s’occupe pas des humains. Il s’agit plutôt d’un esprit universel qui gère l’ensemble de la création. Nous sommes une partie de Dieu et tout ce qui existe dans l’univers est Dieu. Chez Einstein comme chez Reeves, ce sentiment vient de l’émerveillement devant un monde, peuplé de dizaine de milliers de galaxies, qui est loin d’être chaotique. « Je refuse de croire, disait Einstein, en un Dieu qui joue aux dés avec le monde. »

Je reste donc ouvert à ce mystère d’un Dieu-intelligence. Mais je ne cherche à percer ce mystère, me contentant, comme Albert Camus, de faire mon métier d’homme, ou pour employer une terminologie d’aujourd’hui, mon métier d’humain. Pour le moment, il me suffit.

Mes convictions sont simples. Se savoir relié à l’univers tout entier. Donner à l’ego sa juste place au lieu de le laisser enfler comme la grenouille de la fable ou comme le Trump de la politique américaine. Être bienveillant et ouvert. Cultiver la simplicité volontaire plutôt que le consumérisme. Opter pour le partage plutôt que le chacun pour soi. Chercher les désirs simples plutôt que les désirs malsains. Aimer l’univers en général et ses proches en particulier, notamment sa compagne ou son compagnion. Faire fructifier ses talents. Respecter la planète, militer contre les changements climatiques et la perte de la biodiversité. Combattre les inégalités et le racisme.

 

Pendant toute ma quête spirituelle, la réincarnation m’était apparue comme un espoir. Après tout, renaître dans un autre corps, ce serait continuer à vivre. Certes, dans un autre véhicule, mais sur cette bonne vieille Terre, que je ne suis toujours pas pressé de quitter. Je me disais que, malgré les aléas de mon existence, j’avais plutôt tiré un bon numéro. Assez en tout cas pour être tenté de courir le risque d’en piger un autre.

Avec le temps cependant, cet espoir m’est apparu moins séduisant, ne serait-ce que parce que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Tant s’en faut ! Je n’ai jamais connu la misère et j’ai plutôt été épargné par la maladie, jusqu’ici du moins. Mais on m’a mis à la porte quand j’étais cadre au Soleil. J’ai travaillé avec quelques peaux de vache que je n’aimerais pas recroiser. Et puis les ruptures en amour, quel enfer ! Qu’on les subisse ou qu’on les fasse subir.

Ce qui me turlupine aussi, c’est dans quel corps je renaîtrais. Je me posais la question, attablé dans un café du centre-ville, en regardant passer les gens. Primo, je ne voudrais pas être laid. Je n’aimerais pas non plus être idiot. Il me serait insupportable, par exemple, d’avoir du mal à lire et à comprendre. C’est pourtant le cas de pas mal de gens, près de la moitié des Québécois si l’on en croit les statistiques. J’ai même lu que les deux tiers des chômeurs étaient des analphabètes fonctionnels. Ils sont incapables de déchiffrer un texte le moindrement complexe. Est-ce que j’aimerais renaître dans le corps d’un chômeur laid et un peu idiot, qui ne sait ni lire ni compter ? Il est facile de s’imaginer en Mozart. Encore qu’il soit mort bien jeune et, apparemment, bien pauvre. Mais bon, il avait le génie, un des plus grands de tous les temps. C’est séduisant. Mais imbécile ?

Et puis, revivre où ? Vous avez beaucoup envie, vous, de renaître en ce moment en Syrie, au Yémen ou au Darfour ? De vivre dans la crainte des bombes, dans un camp de réfugiés, dans le dénuement et affamé ? Dans un pays d’Afrique ravagé par les sécheresses ? Sur une île en train de disparaître en raison de la montée des océans ? « Pour des milliards d’êtres humains, écrit Henning Mankell dans Sable mouvant, la simple possibilité de réserver du temps à la réflexion est un luxe inaccessible. »

Et finalement, une question qui vous enlèvera peut-être tout désir de vous réincarner : quand ? Selon une étude parue dans la revue Nature, il reste tout au plus une vingtaine d’années pour stopper la course du réchauffement climatique. Après ? On nous annonce l’effondrement des écosystèmes. Les catastrophes nous guettent ; les ouragans, les cyclones, les typhons, les tornades, les incendies de forêt, les déluges seront plus nombreux. La crise des migrants ne serait qu’une répétition générale. Les risques de guerre s’amplifieraient.

Je ne veux pas jouer les prophètes de malheur. Peut-être que tout cela est trop alarmiste. Reste que dans vingt ans, si je suis encore là, peut-être n’aurais-je plus la moindre envie de revenir sur une planète bleue où les glaciers auraient fondu.

Cela dit, au moment de passer l’arme à gauche, la croyance en la réincarnation peut constituer un baume pour qui ne croit pas au ciel. Il y a dans cet espoir quelque chose de follement romantique, surtout lorsqu’on croit aussi que les êtres chers se retrouvent d’incarnation en incarnation. La mort n’est alors plus un adieu, c’est un au revoir.

Ma propre mère, élevée pourtant dans la plus pure tradition catholique, était devenue une adepte de la réincarnation à la fin de sa vie. Plutôt sereine, elle m’avait confié, quelques jours avant de mourir : « Je ne crois pas qu’on vive juste une fois. » Allez savoir !


Lundi : La vieillesse

Une remise en question

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Peu à peu, je me suis éloigné d’Arnaud et de son enseignement. Quand son disciple Éric Edelmann est venu s’établir au Québec et qu’un groupe s’est formé autour de lui, je n’y ai pas participé. J’ai trouvé une bonne psychologue et je me suis libéré de mes angoisses. Cette expérience s’est révélée importante. Je découvrais, à mon grand étonnement, que c’est une bonne vieille thérapie qui m’avait guéri, malgré tous les espoirs que j’avais mis dans la spiritualité.

À partir de là, sans renier pour autant ce que j’avais fait et ce que j’avais appris, je me suis peu à peu éloigné du chemin spirituel, ou plutôt d’un certain chemin spirituel. Je n’ai pas eu d’autres maîtres et je n’en ai pas cherché non plus.

Le Lotus m’avait beaucoup appris. D’autant que ses enseignements étaient éminemment pratiques. Quand je suis devenu chef de pupitre, j’avais senti tout de suite que les expériences que j’y avais faites m’avaient bien préparé pour ce poste exigeant et stressant.

Au contraire, l’enseignement d’Arnaud, plus traditionaliste et plus oriental, me plaçait en porte-à-faux avec mon métier. Il me poussait vers un modèle de sagesse difficilement compatible avec le journalisme.

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Un nouveau gourou

arnaudÀ la fin de 1984, Lise et moi nous nous sommes séparés. L’année avait été pénible ; nous nous étions peu à peu éloignés. J’ai quitté la maison de campagne pour me retrouver dans un petit appartement de la basse-ville de Québec. Comme je l’ai écrit au chapitre précédent, j’avais l’impression d’avoir été chassé du paradis terrestre.

J’ai pris peu à peu mes distances à l’égard du Lotus. Mais je continuais à pratiquer le yoga et à méditer en plus de m’initier à divers types de massage. J’ai demandé à quitter le reportage pour retourner au pupitre week-end, une démarche que mes patrons ont acceptée avec empressement.

Je vivais seul et la semaine de travail ne durait que trois jours, ce qui me laissait beaucoup de temps libre. J’avais l’intention d’écrire. Je n’avais aucun projet de roman. Je songeais plutôt à un essai. Sur quoi ? C’était assez vague, mais cela devait porter sur ma démarche spirituelle.

Cependant, je n’ai pratiquement pas écrit. Je me suis remis à jouer au tennis, un sport que j’avais aimé passionnément dans ma jeunesse, mais que j’avais délaissé depuis des années. Là, je jouais trois fois par semaine. La pratique de ce sport m’occupait beaucoup. D’autant que je me suis fait du coup de nouveaux amis. Je travaillais aussi avec eux et nous nous amusions énormément. Nous sommes devenus très proches.

Ma quête spirituelle ne m’éloignait plus du monde. J’y avais de nouveau trouvé une place. Mais je n’avais pas renoncé pour autant à cette quête. Elle était juste devenue plus discrète.

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La spiritualité orientale

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Mon premier contact avec la spiritualité orientale s’est fait à la lecture des «Clochards célestes», de Jack Kirouac.

Je suis resté résolument athée et antireligieux jusqu’au milieu de la trentaine, où j’ai découvert la spiritualité orientale. Mon premier contact s’est fait à la lecture des Clochards célestes, de Jack Kirouac. Ce roman m’a beaucoup plus touché que le mythique Sur la route. C’est même un livre qui a changé ma vie.

Dans ce récit plus classique, Kirouac décrit sa découverte du bouddhisme. Je ne savais pas alors que la vision de notre Québéco-Américain avait été durement critiquée par les tenants de cette spiritualité, notamment par Alan Watts. Mais à moi qui n’y connaissais rien, elle plaisait beaucoup cette description d’une religion joyeuse et permissive.

Kirouac nous présente son personnage principal, un certain Japhy Ryder (en réalité, Gary Snider, un poète, traducteur et militant anarchiste américain) comme un libre penseur chez qui spiritualité, femmes, drogues et alcool font bon ménage. J’étais fasciné par ce récit de bohémiens qui poursuivaient une quête de sagesse tout en s’opposant aux conventions sociales et en s’offrant des plaisirs qui, dans le catholicisme, sont sévèrement défendus. Le bouddhisme m’apparaissait aux antipodes de la religion de mon enfance, faite d’interdits innombrables. Le roman de Jack me révélait une spiritualité qui n’était pas incompatible avec les plaisirs de la vie.

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Religion et spiritualité

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L’église Saint-Sacrement, où j’ai été servant de messe. La grande fenêtre a été réalisée dans les ateliers de mon père.

Dans le film de Bernard Émond, Journal d’un vieux, le personnage principal dit : « Je ne crois pas en Dieu et, croyez-moi, je le regrette ! » Jolie formule qui exprime la difficulté de vivre dans un monde sans Dieu. Pour ma part, je ne peux dire que je crois ou que je ne crois pas en Dieu. Comme Albert Camus, qui m’avait beaucoup influencé à la fin de l’adolescence et auquel je suis revenu, « je ne sais pas si ce monde a un sens qui le dépasse ». Comme lui, « je sais (juste) que je ne connais pas ce sens et qu’il m’est impossible pour le moment de le connaître ».

Le Dieu de mon enfance, celui du catholicisme, a disparu. Complètement. Contrairement au personnage de Émond, je ne le regrette pas. Certes, j’ai perdu du coup l’espoir d’une ville éternelle et paradisiaque, quelque part dans la vallée de Josaphat. Mais je me souviens surtout d’un Dieu tyrannique, qui nous suivait partout, y compris dans notre chambre à coucher, d’un Dieu omniprésent qui s’invitait même dans nos pensées les plus secrètes, d’un Dieu vengeur qui nous menaçait de l’enfer si nous ne suivions pas ces préceptes. Ce Dieu-là, il ne me manque pas. Il m’a plutôt terrorisé. J’en ai eu bien peur pendant longtemps. Il a pourri ma jeunesse, particulièrement au début de l’adolescence.

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Le retour en enfer

Je n’ai plus fait de crises de panique pendant des années. Pendant dix-sept ans en fait. Durant cette longue période, j’ai connu quelques épisodes d’angoisse, mais très rares. Même si elles m’ont inquiété sur le coup, elles ne m’ont ni terrorisé ni emporté. Je savais ce qu’était l’anxiété ; c’était déjà ça de pris.

À la fin de 1984, quand Lise m’a quitté, j’en ai été beaucoup chagriné. J’avais l’impression d’être chassé du paradis terrestre. Cela dit, même si j’avais beaucoup craint cette échéance, même si je redoutais de vivre seul, je n’ai pas paniqué et l’angoisse n’est pas revenue. Quelques années plus tard, nous avons repris la vie commune.

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