Mardi matin, quand nous avons mis le cap vers le sud, il faisait un froid de canard surpris par l’hiver. Nous avons d’ailleurs vu un peu de neige le long de la 401, en Ontario. Je ne vous le souhaite pas, mais il devrait y en avoir bientôt sur le Québec. Pourtant, on s’en foutait un peu, car on savait que, dans quelques jours, nous pourrions faire sauter manteau, gants, bonnet et écharpe. Si nous avions eu la chanson de Charlebois dans notre iPod, nous l’aurions fait jouer.
Demain l´hiver, je m´en fous.
Je m´en vais dans le sud, au soleil,
Me baigner dans la mer
Et je penserai à vous
En plantant mes orteils dans le sable doux.
Nous nous sentions le cœur léger. Pourtant, un peu plus tôt, en allant dire au revoir à nos amis Daniel et Louise, nous avons tous les quatre vécu un grand moment d’émotion. C’est comme si nous avions pris conscience, d’un coup, que nous ne nous reverrions pas avant un an et demi, ou 18 mois, ou 546 jours. Comptez-le n’importe comment, c’est énorme! Nous sommes heureux de partir, mais il reste difficile de laisser ceux qu’on aime.
Deux jours plus tôt, nous étions allés faire une dernière visite à Étienne, à Marie-France et aux petits-enfants. Quand nous reviendrons, Gabriel aura presque 12 ans et Laurence, 10 ans. Je crois qu’ils ne se rendent pas compte à quel point nous serons absents longtemps.
Bonne route, mauvais resto
Le premier jour s’est bien déroulé. La grande bleue a avalé cinq cents kilomètres en six heures. Il n’y a eu qu’un petit pépin, aux douanes, où nous nous sommes engagés du côté des camions. Le douanier américain m’a fait la leçon, me faisant jurer, deux fois plutôt qu’une, de ne jamais recommencer. Mais cette erreur avait un avantage. Bien au chaud et haut perché, le douanier des camions n’avait pas du tout envie de sortir de sa cabine. Il s’est donc contenté d’enregistrer nos passeports et de vérifier mon permis de conduire. Pas de fouille indiscrète dans l’autocaravane comme les fois précédentes.
Le soir venu, nous sommes allés dans un hôtel plutôt que dans le parc-autos d’un Wal-Mart. Primo, parce que notre véhicule était encore hivernisé. Secundo, parce qu’il faisait vraiment froid. L’ennui, ce n’est pas le coût de l’hôtel, mais le fait qu’il faut manger au restaurant. Et au pays de la malbouffe, c’est presque toujours l’aventure pour deux épicuriens.
Nous sommes d’abord entrés dans une pizzéria. C’était bruyant et les grosses pizzas à l’américaine n’étaient pas ragoûtantes. J’ai dit à Lise : «Allons ailleurs.» Nous avons fini par trouver, pas trop loin de l’hôtel, un restaurant qui avait l’air pas trop mal. De fait, la soupe était bonne. Mais le «poulet à la grecque» trempait dans une épaisse sauce au citron et à l’ail. À l’ail surtout. Il y en avait tellement que ça tuait tout le reste. Quant au vin italien, il était pétillant, plutôt sucré et peu alcoolisé. Il n’avait qu’une qualité : son prix, 18$ pour la bouteille.
Aussitôt ressortis, nous sommes entrés dans une épicerie pour acheter deux yaourts, que nous avons mangés à la chambre. Ils contenaient trop de sucre et pas assez de gras. Mais c’était quand même mieux que le souper. Et il nous restait du chocolat noir.
Aux antipodes du Québec et de l’Italie
Nous roulons depuis quelques jours sur les routes américaines. Comme c’est agréable! D’abord, il n’y a pas tous ces nids-de-poule qui rendent la conduite si chaotique au Québec. Il y a quelques exceptions, il est vrai. La 81, au niveau de la Pennsylvanie, rappelle par moments les routes tiers-mondistes de la Belle Province. Mais dans l’ensemble, la chaussée est aussi douce pour les pneus que pour les oreilles et le postérieur.
En général, les haltes ne manquent pas. Elles sont jolies, propres et ne sentent pas le pipi. Comme les nôtres, par contre, le café y est infect. De ce point de vue, on est loin de l’Italie, où l’espresso et le cappuccino sont partout délicieux, même le long des autoroutes.
En revanche, contrairement à l’Italie, les conducteurs américains ne se prennent pas pour des pilotes de formule 1. Sur les «highways» de l’oncle Sam, tout le monde roule à peu près à 110 km/h, une belle vitesse pour un caravanier. Personne ne vous double comme si vous étiez arrêtés et à peu près personne ne zigzague d’une voie à l’autre.
Les choses se compliquent un peu quand on traverse de grandes agglomérations, où les routes s’élargissent à quatre ou cinq voies. Il arrive que des mémés frisées roulent au ralenti au beau milieu, forçant les uns et les autres à les doubler, qui sur la droite, qui sur la gauche. Mais comme je l’écrivais il y a quelques années lors de la traversée de Houston, cet impressionnant ballet sans chorégraphe n’est qu’apparemment chaotique. Un petit coup de frein par ci et un petit coup d’accélérateur par là et voilà que chaque véhicule trouve sa place et tient bien son rôle.
«C’est vachement cool!», diraient les Cousins. C’est d’autant plus «cool» que La grande bleue, comme tous les sprinters Mercedes sans doute, se conduit tellement bien. Le moteur ronronne, gravissant les côtes sans même avoir besoin de rugir. La tenue de route est impeccable. Même dans le vent, il est facile de garder le cap. Les sièges sont confortables. La vision est parfaite. Ajoutez Louis Armstrong chantant What a Wonderful World, comme on l’a fait cette semaine, et c’est le bonheur. Eh oui, le bonheur est sur la route.
Opération déshivernisation
Le troisième jour, après deux jours d’hôtel, nous nous sommes enfin arrêtés sur un camping près de Bristol, au Tennessee, à 1 500 kilomètres de Montréal. Sitôt arrivés, nous nous sommes lancés dans la déshivernisation. Comme nous n’avions pas réalisé cette opération depuis presque trois ans, nous avons buté sur quelques détails. D’ailleurs, je n’ai toujours pas réussi à changer le filtre à eau. J’ai eu beau forcer comme un diable, le couvercle a refusé de s’ouvrir. Comme il est en plastique, j’ai eu peur de le casser en forçant trop. Mais peut-être ai-je juste essayé de le dévisser du mauvais côté. Bof! Je me suis dit «magnana».
Je me suis plutôt mis au souper. Au menu : les spaghettis à la Paolo. Accompagnés d’un petit vin de Californie trouvé chez Wal-Mart, c’était délicieux. De quoi nous faire oublier l’horrible «poulet à la grecque» mangé deux jours plus tôt.
Lise vous fait ses amitiés. Je vous embrasse. À samedi prochain.
Paul