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Archives de novembre, 2019

L’« Antigone » de Sophie Deraspe, un pari risqué et réussi !

Nahéma Ricci, une grande Antigone.

Pour créer son « Antigone », Sophie Deraspe s’est inspirée à la fois de la célèbre pièce de Sophocle et de l’affaire Fredy Villanueva, mort en 2008 d’une bavure policière à Montréal-Nord. C’est en effet en voyant une interview d’une des sœurs du jeune homme tué par un policier que la cinéaste québécoise a imaginé cette Antigone des temps modernes. Dans cette nouvelle version, le frère aîné tombe aussi sous la balle d’un agent et le frère cadet est menacé d’expulsion.

Sophie Deraspe s’est donc permis beaucoup de libertés par rapport au mythe originel. Mais elle a conservé l’essentiel : Antigone, la sœur cadette, se dressant devant une justice qu’elle juge injuste et mettant son amour pour la fratrie au-dessus des lois des hommes.

L’opération était risquée, d’autant que le chef-d’œuvre de Sophocle a déjà été repris par des auteurs aussi imposants qu’Anouilh et Brecht. Mais l’audace de Deraspe a été récompensée. Son « Antigone » est à mon avis un des films les plus forts du cinéma québécois.

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Michèle Ouimet : partir pour raconter… et se sentir vivante

Michèle Ouimet en reportage pour La Presse.

J’ai beau avoir été journaliste pendant 45 ans, je n’ai jamais été grand reporter. Tant s’en faut ! À vrai dire, j’ai fait peu de reportages et quand j’en ai fait, c’était plutôt pépère. Du moins si l’on compare mes petites tribulations à la vie des correspondants de guerre, tels qu’on peut les voir, par exemple, dans « Sympathie pour le diable », un film consacré à Paul Marchand, ce journaliste français qui a suivi pendant plusieurs années les guerres civiles du Liban et de la Bosnie.

Pour l’essentiel, j’ai fait ma carrière dans le confort du pupitre, où le pire risque qu’on court, c’est de se faire engueuler par un reporter pour un titre. Au total, je suis sorti deux fois du Québec pour les besoins du métier. La première fois, c’était pour couvrir le Festival du cinéma francophone à Dinard, où je suis descendu dans un hôtel cossu dont le restaurant était digne du Guide Michelin. La seconde, c’était pour la couverture du tournoi de Roland-Garros, où l’on vous traite aux petits oignons. On est à Paris, après tout !

Bien sûr, dans de tels événements, les journées de travail sont longues ; il faut avoir l’étoffe du marathonien. Mais on ne couche pas sous la tente, sur un matelas dur, entouré de souris ou de moustiques. On n’est pas condamné au jeûne ou nourri de plats infects. On n’a pas besoin d’un somnifère pour dormir la nuit, car on a ingurgité suffisamment de vin rouge. On ne va pas dans des chiottes, mais dans des toilettes en marbre. On n’est pas obligé de compter sur la Croix-Rouge pour rentrer au pays. On ne porte jamais de gilet pare-balles. On ne risque pas d’être emprisonné par les talibans ou les mollahs, arrêté par des policiers brutaux et corrompus, menacé par des extrémistes religieux ou par des groupes armés violents. On ne craint jamais pour sa vie. Tout au plus s’inquiète-t-on parfois pour sa réputation.

Tout ceci pour dire toute mon admiration pour les reporters et photographes de guerre en général et pour Michèle Ouimet en particulier, qui vient de publier « Partir pour raconter », chez Boréal. Pendant 25 ans, mon ex-collègue a souvent laissé sa fille Sophie et son compagnon André à Montréal pour aller témoigner de guerres, de révolutions, de génocides ou de désastres aux quatre coins du globe.

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Connaissez-vous Sylvain Tesson ?

Le prix Renaudot, que ce Parisien de 47 ans vient tout juste de recevoir pour « La panthère des neiges », contribuera sans doute à mieux le faire connaître au Québec. Mais voilà bientôt dix ans que cet écrivain aventurier, plutôt unique dans la littérature française, est une vedette en France.

Depuis en fait la parution de son essai « Dans les forêts de Sibérie », journal intime de ses six mois d’ermitage dans une cabane au bord du lac Baïkal. Ce récit, couronné par le prix Médicis, a connu un grand succès de librairie. On en a même tiré un film, qui n’est pas mauvais du tout, mais qui n’a rien, mais vraiment rien à voir avec le livre, sinon la cabane au bord du lac.

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Petit éloge du cinéma français ou pourquoi Scorsese a raison

Ladj Ly a remporté le Prix du jury à Cannes pour «Les misérables», film qui représentera la France aux Oscars.

Comme chaque année au début du mois de novembre, je me rends chaque jour au cinéma Impérial pour le festival Cinémania, qui célèbre depuis 25 ans le cinéma francophone. Parfois, quand je fais la file, qui n’avance désespérément pas alors que le vent souffle des glaciers polaires à travers les édifices du centre-ville, je me demande ce que je suis venu faire là. Mais dès que je pénètre dans la belle salle de la rue Bleury, la bonne humeur revient.

Il est évidemment trop tôt pour tirer un bilan de Cinémania 2019. Mais après avoir vu quatre films, je ne peux m’empêcher de penser à la polémique créée par Martin Scorsese, pour qui les films de super-héros en général et les Marvel en particulier ne sont pas vraiment du cinéma. Pour le réalisateur de « Taxi Driver », il s’agit plutôt de spectacles de parcs d’attractions. Pour ma part, je dirais que si ces superproductions coûteuses sont du cinéma, c’est du cinéma produit en usine sur de grandes chaînes de montage. Leur public, c’est le monde entier, qu’on réunit par le plus petit dénominateur commun.

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« Parasite », une palme d’or bien méritée

Bong Joon Ho a supplié les journalistes de ne pas mentionner ce qui va se passer après que le fils et la fille ont commencé à travailler chez les Park, une famille de riches en Corée du Sud. Je respecterai volontiers sa volonté de ne rien divulgâcher, car l’intrigue, après un début lent, s’accélère, réservant aux spectateurs bien des surprises et bien des rebondissements. Plaisir assuré ! Je me bornerai à dire qu’on a affaire une famille de Bougon. Mais des Bougon qui auraient de la classe et dont les membres seraient brillants, ce qui nous mène bien loin de la télésérie québécoise.

Comment définir cet étonnant « Parasite » ? Je l’ai vu comme une comédie noire. Le réalisateur, lui, présente son œuvre comme « une tragicomédie impitoyable et cruelle ». Ailleurs, il la définit « comme une comédie sans clowns, une tragédie sans méchants ». Quelle que soit la définition retenue, disons que le nouvel opus du réalisateur sud-coréen appartient à un genre casse-gueule, particulièrement difficile à maîtriser. Mais quand c’est réussi, et c’est le cas ici, c’est absolument jubilatoire !

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