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Archives de la catégorie ‘Le lexique’

Montréal s’allophonise-t-il ?

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Je suis allé mardi dans une boutique du centre-ville. À la caisse, les deux vendeurs parlaient anglais entre eux. Mais dès que j’ai dit « bonjour », ils m’ont répondu en français. Qui plus est, en bon français. Ce comportement est tellement courant que je ne devrais même pas en parler. Mais je le souligne pour répondre à Marie-France Bazo qui, dans La Presse cette semaine, s’est réjouie qu’une vendeuse soit arrivée à baragouiner avec elle dans notre langue. À ma connaissance, la chroniqueuse ne vit pas à Montréal. Moi, j’y habite depuis 32 ans, dont 20 au centre-ville. Je peux témoigner qu’il n’est pas si difficile de se faire servir en français rue Sainte-Catherine. Le contraire est même plutôt rare.

L’inquiétude de Bazo repose sur la langue parlée à la maison. On sait, en effet, que plus de 50 % des gens ne parlent pas français chez eux à Montréal. Cette statistique alarmiste, qu’on répète à l’envi, fait bien sûr l’affaire des nationalistes identitaires, qui y voit le signe inquiétant de la louisianation de la métropole.

Mais plusieurs spécialistes ont montré les limites de ce chiffre, qui décrit mal la réalité linguistique complexe de la grande ville. Par exemple, beaucoup de Maghrébins et de Haïtiens ne sont pas considérés comme francophones parce qu’ils disent parler arabe ou créole à la maison lors du recensement. Mais dans les faits, les uns et les autres peuvent s’exprimer couramment en français. D’autres familles passent d’une langue à l’autre chez eux, dont le français. Mais on ne les retrouve pas, non plus, dans la colonne des francophones.

Quand Bazo répète comme un perroquet que Montréal s’anglicise, ce n’est pas davantage exact. Il faudrait plutôt dire que la ville s’allophonise. Mardi, en faisant mes courses, j’ai tendu l’oreille attentivement. J’ai entendu parler anglais, évidemment. Mais pas tant que ça. J’ai reconnu l’arabe, l’espagnol et le chinois notamment. J’ai aussi entendu d’autres langues que je n’ai pas pu identifier. Cette ville, l’immigration aidant, est de plus en plus multilingue.

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Kidnapper et « brief du Monde »

Un grand pourfendeur d’anglicismes a reproché à France Beaudoin d’avoir employé « kidnapper ». La populaire animatrice s’est défendue en alléguant que ce verbe se trouve dans les dictionnaires. Je suis d’accord. Ce mot, il est vrai, est dérivé de l’anglais to kidnap. Mais il est employé depuis près d’un siècle comme synonyme de « enlever (une personne) ». Pourquoi pas, d’autant qu’il s’intègre bien au français !

En matière d’anglicismes, je ne suis pas un puriste. Je n’encourage pas les traductions du type gazouillis pour tweet, gaminet pour T-shirt ou coup d’écrasement pour smash (au tennis). Ces tentatives, souvent infructueuses, m’agacent. Pourquoi chercher à remplacer des mots qui sont solidement implantés dans l’usage ? Pourquoi s’attaquer au moindre emprunt à l’anglais, y compris à des mots francisés il y a parfois plus d’un siècle ?

Cela dit, je ne suis pas un laxiste non plus, contrairement aux auteurs de l’essai Le français va très bien, merci, pour qui notre langue serait capable d’accueillir une infinité d’emprunts. Pour ces linguistes, « la langue a le sens pratique, elle emprunte pour s’enrichir ». Admettons. Mais le français s’enrichit-il vraiment quand il remplace des mots français par des termes anglais qui disent exactement la même chose ? Notre langue se bonifie-t-elle, par exemple, quand elle parle des news plutôt que des infos ou des nouvelles ? Avez-vous perçu là une nuance que je n’ai pas saisie ?

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Petit retour sur l’accord du participe passé

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Image par muntazar mansory de Pixabay

On peut être pour ou contre la réforme de l’accord du participe passé. Cela se discute. Mais il y a des arguments de la vice-présidente de l’Association des profs de français, Alexandra Pharand, qui m’insupportent. À commencer par le fait que le français, répète-t-elle sur toutes les tribunes, est une langue vivante. Qui dit le contraire ? Chaque année, des mots apparaissent alors que d’autres tombent en désuétude. C’est pourquoi les dictionnaires sont régulièrement réédités.

En revanche, la grammaire et la syntaxe changent peu. Pourquoi ? Parce que ce sont les bases d’une langue, quelle qu’elle soit. Elles restent généralement inchangées, ce qui permet, notamment, de se comprendre entre générations et de pouvoir lire les œuvres du passé.

Je ne dis pas que la grammaire ne peut pas évoluer. Depuis mon enfance, l’usage du subjonctif, par exemple, a beaucoup changé. On n’utilise presque plus le subjonctif passé, remplacé dans la majorité des cas par le subjonctif présent, bien plus facile à manier. L’évolution s’est faite progressivement, sans véritable opposition, si ma mémoire est bonne.

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Réforme du participe passé : une fausse bonne idée

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Image par David Mark de Pixabay.

Apparemment découragée par un taux d’échec alarmant, l’Association des professeur.e.s de français a proposé au ministre de l’Éducation une simplification de l’accord du participe passé.

Je ne sais pas comment a réagi Bernard Drainville à cette fausse bonne suggestion. Mais depuis plusieurs années déjà, son ministère cherche à cacher les résultats désastreux en français en encourageant une correction très laxiste. Au point de pousser parfois le bouchon un peu loin. J’avais été beaucoup surpris d’apprendre, l’an dernier, que certains correcteurs acceptaient « pain » pour désigner l’arbre qu’on appelle « pin ». On me dira qu’il n’y a, après tout, qu’un petit « a » de différence. Mais tout de même ; l’arbre est pas mal plus difficile à digérer. J’avais alors suggéré qu’on accepte également des « comptes de fées », alléguant qu’il serait ainsi plus facile d’atteindre le compte, c’est-à-dire la note de passage.

Malgré ces corrections, avouons-le très créatives, on a continué à échouer dans nos écoles délabrées. « On a mis 20 ans d’effort pour améliorer les choses et ça stagne », a reconnu Bernard Tremblay, le PDG de la Fédération des cégeps. Au secondaire, la situation n’est pas meilleure. D’où sans doute cette idée de simplifier l’accord du participe passé.

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Et si « woke » n’était pas péjoratif

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Photo de Clay Banks sur Unsplash

La firme Ispos a récemment dévoilé un sondage bien intéressant sur le mot « woke ». On y découvre, comme le rapporte Richard Hétu sur son blogue, qu’en dépit du matraquage républicain, « la majorité des Américains ont une opinion positive » de ce terme souvent galvaudé, que ce soit par les politiciens conservateurs, voire d’extrême droite, ou par des chroniqueurs identitaires. (Je ne nommerai pas de noms, mais plusieurs écrivent pour le Journal de Montréal.)

Selon le sondage, 56 % des Américains pensent que ce terme issu de la communauté afro-américaine signifie « être informé, éduqué et conscient des injustices sociales ». Pour un responsable de la firme de sondage,  « être woke, c’est être à l’écoute des injustices qui nous entourent ». Voilà de belles définitions, confortées autant par le Grand dictionnaire terminologique que par Antidote.

Bien entendu, celles et ceux que le « wokisme » empêche de dormir (il faut croire que le mot les éveille) y voient plutôt « le pire du politiquement correct de la majorité multiculturelle émergente ».

Je reconnais volontiers que le « wokisme », comme la plupart des courants de pensée, compte son lot de fondamentalistes. Ils s’expriment volontiers de façon intransigeante et abusent parfois du dénigrement. Je n’approuve pas, par exemple, la réécriture d’œuvres littéraires, sous prétexte que certains passages écorchent les sensibilités contemporaines. Je ne partage pas non plus le désir de beaucoup de « wokes » de se retrouver en tout temps, y compris à l’université, dans ce que les anglophones appellent un « safe space ». A-t-on vraiment besoin, spécialement quand on est jeune, du cocon d’un espace sûr ? Il me semble, au contraire, qu’il est bon à cet âge, et même à tout âge, de courir des risques, quitte à être un peu bousculé parfois. Pour progresser, en effet, il faut savoir sortir de sa zone de confort.

Je ne suis pas non plus un adepte de l’écriture inclusive, qui rend les textes difficiles à lire. Elle est peut-être politiquement correcte, mais elle est grammaticalement incorrecte. Comment écrire un texte fluide et clair avec des traits d’union, des points, des parenthèses ou des barres obliques pour marquer le féminin ?

Bref, les dérives du « wokisme » sont bien réelles et parfois navrantes, comme le souligne Le grand Robert. Mais il est sain d’être conscient des injustices et des discriminations subies par les minorités, comme il est bon de se mobiliser pour les combattre. Quant à moi, je ne vois rien là de péjoratif.

Un prize money, c’est quoi ?

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Elena Rybakova soulevant le trophée de la championne à Wimbledon.

Grand amateur de tennis, je lis beaucoup le journal français L’Équipe, qui consacre beaucoup d’espace à la petite balle jaune. La couverture du tennis, d’une façon générale, y est fort bien faite. On peut chipoter, bien sûr, sur tel ou tel détail. Mais les articles sont bien écrits. Cela me paraît incontestable.

La seule chose qui me turlupine, c’est l’usage de certains mots anglais. Je ne parle pas de termes comme lob, smash ou passing, utilisés en français depuis plus d’un siècle. Ce ne sont pas des anglicismes, mais des emprunts à l’anglais. Je ne vois pas l’intérêt de traduire, comme on le fait parfois ici, lob par chandelle, smash par coup d’écrasement et passing par coup de débordement. C’est du purisme pur.

En revanche, des expressions comme prize money, tournoi indoor ou night session me restent en travers de la gorge. What the fuck ! ai-je envie de m’écrier. Prenez prize money, le sujet du jour. La locution n’est pourtant pas si difficile à traduire. De quoi s’agit-il ? Du prix en argent remis aux joueurs ou aux joueuses. En 2022, par exemple, le gagnant et la gagnante de l’US Open ont tous deux reçu un prix de 2 600 000$. Somme qui, assurément, aide à voir venir les fins de mois.

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Le climat menacé, le français aussi

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« La cérémonie des Césars brièvement interrompue par une activiste du climat », pouvait-on lire sur le site du Monde. L’emploi d’activiste est-il abusif dans ce contexte ? À l’origine, ce mot avait un sens très fort dans notre langue. Le terme s’est répandu vers 1955 pour parler des partisans extrémistes de l’Algérie française. L’activiste a donc d’abord désigné un « partisan de l’action politique violente ». Sous l’influence de l’anglais, on commence à lui donner le sens plus neutre de « défenseur actif d’une cause ». Le grand Robert en donne comme exemple : les activistes de l’écologie.

Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile de départager le véritable activiste et le simple militant. Dans certaines manifestations qui tournent à la violence, on retrouve côte à côte, sans doute, les uns et les autres. Mais à la cérémonie des Césars, la jeune femme n’ayant commis aucun acte violent, j’aurais parlé, pour ma part, d’une manifestante.

Était-ce le bon endroit pour rappeler l’urgence climatique ? Je n’en sais rien. En revanche, je trouve malheureux que cette écologiste ait choisi un T-shirt arborant un slogan anglais. Il faut rappeler que la scène se passait à Paris, dans une émission célébrant le cinéma français, pas à Hollywood pendant la remise des Oscars.

À mon avis, cette jeune femme ne devrait pas craindre seulement la fin du monde. Le français aussi est une espèce menacée.

La 4e édition du Lexique

Il y a 25 ans, j’ai publié la première édition de mon Lexique aux Éditions La Presse. C’était le fruit de mon travail de conseiller linguistique, d’abord au Soleil, puis à La Presse. La première édition s’appelait Le lexique des difficultés du français dans les médias. C’était bien trop longuet. En tant que supposé spécialiste des titres au journal, j’ai encore un peu honte aujourd’hui de cette interminable formulation. D’autant qu’elle laissait croire que ce guide ne s’adressait qu’aux membres des médias. Or je l’avais rédigé pour toute personne qui, dans le cadre de son travail ou de ses études, avait à écrire ou à parler en public.

Malgré tout, grâce aux chroniques favorables de Lysiane Gagnon et de Pierre Foglia, les 2000 premiers exemplaires se sont rapidement envolés, à tel point qu’il a fallu en rééditer 1000 autres. La deuxième édition de cet ouvrage a été publiée en 2000 et la troisième en 2004. Au total, quelque 10 000 exemplaires ont été écoulés.

J’ai continué à prendre des notes en vue d’une quatrième édition. Mais il est apparu qu’une nouvelle parution n’était pas dans les plans de l’éditeur. De plus, j’avais été recruté pour un blogue sur le tennis, pour le site web de La Presse. Il s’agissait d’une nouvelle affectation, totalement imprévue et très excitante, qui me prenait beaucoup de temps. Je ne m’en plains pas ; elle arrivait à point nommé. Je tenais déjà un autre blogue, celui des Amoureux du français, où j’essuyais fréquemment les critiques des partisans d’un français très québécois. Après avoir été pendant une quinzaine d’années responsable de la qualité du français au journal, je commençais à trouver cette responsabilité lourde à porter. Bref, j’étais à deux doigts et quelques virgules d’un épuisement linguistique et professionnel. Pour ma santé mentale, j’ai quitté le blogue des Amoureux du français, abandonné mon poste de conseiller et renoncé à la quatrième édition du Lexique.

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Le lexique de Paul Roux (4e édition)

LEXIQUE

« Du coup »

Récemment, le cinéaste Cédric Klapisch a accordé une entrevue à Radio-Canada, au cours de laquelle il a utilisé l’expression du coup 15 fois en 23 minutes, note un ami Facebook, Alain Castonguay.  « Du coup, cela m’a un peu distrait », ajoute-t-il avec humour. Il y a quelques années, j’ai moi-même signalé ce tic de langage dans un de mes carnets. Le « du coup » des Français est l’équivalent du « tsé » ou du « fa que » des Québécois.

Ces tics ne sont pas juste agaçants. Ils tendent à appauvrir le langage, car ils remplacent près d’une vingtaine de mots ou de locutions plus précises, comme le fait remarquer un autre ami, Van Nguyen. Notons ainsi, dans ce cas, donc, dès lors, tout à coup, pour le coup, en conclusion, c’est pourquoi, par conséquent, partant, conséquemment, par suite, subséquemment, désormais, aussi, après, soudainement, si je comprends bien, finalement

Et c’est sans compter que ces mots passe-partout cherchent à dissimuler l’hésitation ou l’embarras. En ce sens, du coup est un synonyme de euh. Convenons cependant que du coup fait moins tata ou zozo que euh… De sorte que même un brillant réalisateur peut l’utiliser et en abuser.