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Archives de novembre, 2017

« Crise R. H. » ou le management par la terreur

Céline Sallette, impeccable dans son rôle de «killeuse» dans le film «Crise R. H.».

« Les personnages sont fictifs, les méthodes de management sont réelles », nous avertit-on dès le début de Crise R. H. Les méthodes utilisées au siège parisien d’une multinationale consistent à pousser des employés à démissionner. Ce qui présente l’avantage de réduire le personnel, mais à faible coup, l’entreprise n’ayant pas à payer les indemnités de licenciement, particulièrement lourdes en France.

Pour parvenir à « dégraisser » ainsi le personnel, les Ressources humaines recrutent ce qu’on appelle dans le métier une « killeuse», une experte du « management par la terreur ». Elle s’appelle Émilie Tesson-Hansen. Derrière ses beaux yeux gris, se cache une femme froide et implacable, capable de pousser à la démission les éléments jugés indésirables.

Mais l’un d’eux se montre particulièrement récalcitrant. Tant et si bien que l’affaire tourne mal, qu’une enquête est ouverte par l’inspection du travail et qu’un scandale menace d’éclabousser l’entreprise. Inquiète, la hiérarchie risque de se retourner contre son exécutrice des basses œuvres. Mais la « killeuse » n’est pas du genre à se laisser tuer, d’où une kyrielle de rebondissements.

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Pourquoi se limiter aux écrivains québécois ?

J’ai bien aimé l’éditorial de Paul Journet sur la lecture, un domaine où les Québécois traînent la patte. L’auteur y va de quelques intéressantes suggestions pour combler notre retard. Mais un paragraphe m’a fait sursauter :

– Demander aux profs de français de s’inspirer de la liste de 150 œuvres québécoises dressée par l’Union des écrivains lorsqu’ils choisissent les livres au programme.

Je pourrais souligner que plusieurs des œuvres de cette liste ne sont guère inspirantes. Je doute, par exemple, que Les Canadiens Français et l’Empire britannique, d’Henri Bourassa, ou le soporifique Angéline de Montbrun, de Laure Conan, puissent convaincre les élèves de lâcher leur cellulaire. Mais là n’est pas la question.

Il faut plutôt se demander pourquoi il faudrait se limiter aux livres québécois quand la littérature française, passée et actuelle, regorge de grandes œuvres. Pourquoi ne pas inclure dans le cursus un Modiano, un Camus, ou un Maupassant ; une Ernaux, une de Vigan ou une Colette ? Je ne suggère pas que l’on retourne à l’enseignement de Racine et de Corneille, comme à l’époque du cours classique. Nos petits loups en sortiraient traumatisés et ce serait mauvais pour leur estime de soi. Mais pourquoi pas, en poussant un peu l’audace, un Balzac ou un Flaubert ?

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La cheffe et la mairesse

Photo La Presse

La cheffe (et non le chef) de Projet Montréal est devenue mairesse (et non maire) de Montréal. Je n’ai rien contre la féminisation des titres de fonction. Dès 1980, j’avais titré dans Le Soleil : « Marguerite Yourcenar, première écrivaine à l’Académie française ». Aujourd’hui, ce féminin est courant au Québec, mais en France, beaucoup d’auteures ou d’autrices continuent à le refuser. Pour ce qui est de mairesse, les Cousins n’ont pas retenu ce mot, considéré comme vieilli, mais ils emploient madame le maire ou la maire. Parfois, ils écrivent aussi cheffe, qui a remplacé cheffesse.

À mon avis, refuser le féminin des titres de fonction est un combat d’arrière-garde. Chez nous, comme en Belgique et en Suisse, la cause est presque entendue. Dans l’Hexagone, la résistance se fait encore sentir, même du côté des femmes. Mais elle s’effrite peu à peu, malgré les hauts cris de l’Académie.

En revanche, je suis presque aussi réfractaire que les Immortels à la féminisation systématique, car elle rend les textes difficiles à lire. Et parfois même, un peu ridicules, comme dans cet exemple : Les employé.e.s sont prié.e.s de se rendre à la réunion à 10 h, sauf ceux.elles qui ne peuvent être absent.e.s de leur poste. C’est politiquement correct sans doute, mais grammaticalement incorrect. Je suis donc tout à fait opposé aux points, aux traits d’union, aux parenthèses ou aux barres obliques pour marquer le féminin. Je n’irai pas jusqu’à affirmer, comme les Académiciens, que ces formes font courir au français un « mortel péril ». Mais incontestablement, elles nuisent à la clarté de la communication.

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L’invasion du niqab ! Quelle invasion ?

Certaines craignent que leurs petites-filles ne soient obligées, un jour, de porter le voile intégral. C’est pourquoi elles appuient avec ferveur la loi 62, qui interdit le port d’une telle tenue dans le réseau public. Mais d’après mes savants calculs, le risque que les petites Québécoises soient un jour forcées de porter le niqab ou la burqa est de 0,0 % en région, de 0,00002 % à Québec et de 0,0001 % à Montréal.

Il y a de quoi trembler, avouez-le. Surtout si on compare ce taux à la violence physique ou sexuelle, qui au pays touche, écoutez bien, 50 % des femmes depuis l’âge de 16 ans, selon la Fondation canadienne des femmes. Si vous vous inquiétez de l’avenir de vos petites-filles, craignez plutôt qu’elles ne deviennent comédiennes. Les niquées, si je puis dire, sont pas mal plus nombreuses que les niqabs.

Depuis que je suis arrivé à Montréal il y a 26 ans, j’ai croisé au total quatre femmes portant le niqab, aucune la burqa. On est bien loin de l’invasion qu’on imagine volontiers en région. Aucune ne portait de kalachnikov sous sa tenue. Aucune ne s’est précipitée sur moi pour me convaincre d’embrasser l’islam. Aucune ne s’est ruée sur ma compagne pour la persuader de porter le voile.

Leur rencontre me plaît-elle ? Pas trop, pour être honnête. Est-ce « malaisant », pour employer un affreux néologisme ? Un peu, bien sûr. Mais le voile intégral n’est pas la seule chose qui me turlupine. Les hommes qui arborent des tatouages agressifs jusque sur le dessus du crâne, ce n’est pas trop mon truc non plus. Les punks encore moins, d’autant que, contrairement aux femmes voilées, ils peuvent être violents. J’en ai fait l’expérience un soir dans un autobus, quand trois d’entre eux m’ont cherché noise. Mais il ne me viendrait pas à l’esprit de réclamer une loi limitant les droits des tatoués, fussent-ils intégraux, ou des punks, fussent-ils malotrus.

On m’accusera sans doute, à l’instar de certaines féministes, de banaliser et de légitimer le niqab. Moi, j’ai plutôt l’impression que ses opposantes le dramatisent en prétendant qu’il menace rien de moins que « les acquis du Québec ». Nos valeurs sont bien plus solides que ça.

Selon le collectif qui a publié une lettre mercredi dans La Presse, le voile intégral favorise l’emprise des chefs religieux. Si c’est vrai, cette loi répressive n’y changera rien. Ces femmes n’en seront que doublement opprimées, prises en souricière entre les intégristes de l’islam et les intégristes de la laïcité. Elles refuseront de se dévoiler ou elles resteront chez elles.

Pire encore : leur nombre risque d’augmenter. Comme cela s’est produit pour le foulard, il y a quelques années, lorsque le PQ a présenté sa charte des valeurs. Est-ce bien cela qu’on veut ?

 

 

«Paradise Papers» ou les bonbons volés

Un lecteur a demandé aux journalistes du Monde, Jérémie Baruch et Maxime Vaudano, comment expliquer à son fils de 8 ans l’affaire des « Paradise Papers ». Voici la réponse :

« Écoute fiston, tu te souviens après Halloween, je t’avais expliqué que ceux qui avaient reçu beaucoup de bonbons devaient partager avec ceux qui n’en avaient pas.

«Certains des grands, qui avaient eu beaucoup de bonbons, sont allés se cacher au fond de leur jardin pour tout manger tout seuls. Du coup, certains de tes copains n’ont pas eu de friandise.

«Quand tout le monde a découvert ce que les grands avaient fait, ils ont eu un peu honte. On ne sait pas encore s’ils seront punis. Mais je préférerais que tu ne fasses pas cela quand tu seras grand. »

Ce que j’aime bien de cette historiette toute simple, c’est qu’elle est racontée sous l’angle de la moralité plutôt que de la légalité. Car bien entendu, la plupart des révélations des « Paradise Papers » concernent des montages financiers qui en principe sont légaux, puisqu’ils sont basés sur une optimisation fiscale permise, ou tout au moins tolérée, par les États. Mais, comme le note Le Monde, «l’ampleur des sommes échappant à l’impôt est telle que la question se pose aussi en termes d’éthique».

Selon les estimations de l’économiste Gabriel Zucman, le total des bonbons cachés, c’est-à-dire «le manque à gagner de l’évasion fiscale (grandes fortunes et entreprises) dépasse 350 milliards d’euros par an pour les États du monde entier». Pour le Canada, la perte de revenus fiscaux, selon Le Monde, est estimée entre 12 et plus de 20  milliards de dollars. Ça fait beaucoup de bonbons pour les ultrariches.

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Cinémania pour oublier la grisaille

Louis Garrel est génial en Godard et que Stacy Martin est une parfaite Anne Wiazemsky.

Novembre, c’est souvent le froid, la pluie et la grisaille. Mais heureusement, il y a Cinémania, ce festival du cinéma français qui arrive chaque année à point nommé. L’événement qui a débuté jeudi a démarré sur les chapeaux de roue.

J’ai d’abord vu Le redoutable, le «biopic» de Michel Hazanavicius sur Jean-Luc Godard. Ou plus précisément sur les quelques années où, après avoir tourné La chinoise, Godard a vécu avec l’actrice Anne Wiazemsky. Ce sont également les années où le cinéaste le plus en vue de sa génération a renié le cinéma qu’il avait fait jusque-là pour se consacrer corps, pellicule et âme à la «révolution».

Je n’en dirai pas plus parce que Le redoutable ne prendra l’affiche à Montréal qu’au mois de mai. Mais je peux vous dire tout de suite que l’œuvre est brillante, souvent drôle, mais sérieuse aussi, comme les premiers films de Godard en fait. Hazanavicius n’hésite d’ailleurs pas à pasticher l’auteur du Mépris au début de son long métrage.

En un mot, j’ai adoré. D’autant que Louis Garrel est génial en Godard et que Stacy Martin est une parfaite Anne Wiazemsky.

Je suis également sorti bouleversé de Barbara. Il me faut toutefois préciser illico que certains détestent cette biographie. «Film ennuyeux», «film vide», «immense déception», «d’un ennui mortel», peut-on lire, entre autres gentillesses, sur l’œuvre  de Mathieu Amalric. Ce n’est évidemment pas mon avis, bien au contraire. Mais je peux comprendre que le film qu’a tiré Amalric de la carrière de Barbara ne plaise pas à tout le monde.

Il ne s’agit d’ailleurs aucunement d’une biographie classique, où l’on aurait raconté les grands moments de la carrière de Barbara, comme on l’a fait récemment pour Dalida. Il s’agit plutôt d’une œuvre originale, personnelle et parfois même un peu déroutante. Mais, comme l’écrit fort joliment Amélie Cordonnier dans Femme actuelle, c’est une œuvre «où se dessine par petites touches le portrait de la grande Barbara, un peu dévoilée, mais toujours aussi mystérieuse».

L’accent a été mis moins sur la femme que sur la chanteuse. Si l’on aime les chansons de Barbara, on aimera probablement le film. D’autant que Jeanne Balibar est merveilleuse dans ce rôle, au point où on a l’impression, par moments, de voir réapparaître la grande interprète. Si elle ne remporte pas le césar de la meilleure actrice en 2018, c’est que Balibar aura été volée. À moins, bien entendu, qu’une autre actrice n’ait réalisé une performance encore plus remarquable.

Jeanne Balibar est merveilleuse dans le film de Mathieu Amalric, au point où on a l’impression, par moments, de voir réapparaître la grande Barbara.