Certaines craignent que leurs petites-filles ne soient obligées, un jour, de porter le voile intégral. C’est pourquoi elles appuient avec ferveur la loi 62, qui interdit le port d’une telle tenue dans le réseau public. Mais d’après mes savants calculs, le risque que les petites Québécoises soient un jour forcées de porter le niqab ou la burqa est de 0,0 % en région, de 0,00002 % à Québec et de 0,0001 % à Montréal.
Il y a de quoi trembler, avouez-le. Surtout si on compare ce taux à la violence physique ou sexuelle, qui au pays touche, écoutez bien, 50 % des femmes depuis l’âge de 16 ans, selon la Fondation canadienne des femmes. Si vous vous inquiétez de l’avenir de vos petites-filles, craignez plutôt qu’elles ne deviennent comédiennes. Les niquées, si je puis dire, sont pas mal plus nombreuses que les niqabs.
Depuis que je suis arrivé à Montréal il y a 26 ans, j’ai croisé au total quatre femmes portant le niqab, aucune la burqa. On est bien loin de l’invasion qu’on imagine volontiers en région. Aucune ne portait de kalachnikov sous sa tenue. Aucune ne s’est précipitée sur moi pour me convaincre d’embrasser l’islam. Aucune ne s’est ruée sur ma compagne pour la persuader de porter le voile.
Leur rencontre me plaît-elle ? Pas trop, pour être honnête. Est-ce « malaisant », pour employer un affreux néologisme ? Un peu, bien sûr. Mais le voile intégral n’est pas la seule chose qui me turlupine. Les hommes qui arborent des tatouages agressifs jusque sur le dessus du crâne, ce n’est pas trop mon truc non plus. Les punks encore moins, d’autant que, contrairement aux femmes voilées, ils peuvent être violents. J’en ai fait l’expérience un soir dans un autobus, quand trois d’entre eux m’ont cherché noise. Mais il ne me viendrait pas à l’esprit de réclamer une loi limitant les droits des tatoués, fussent-ils intégraux, ou des punks, fussent-ils malotrus.
On m’accusera sans doute, à l’instar de certaines féministes, de banaliser et de légitimer le niqab. Moi, j’ai plutôt l’impression que ses opposantes le dramatisent en prétendant qu’il menace rien de moins que « les acquis du Québec ». Nos valeurs sont bien plus solides que ça.
Selon le collectif qui a publié une lettre mercredi dans La Presse, le voile intégral favorise l’emprise des chefs religieux. Si c’est vrai, cette loi répressive n’y changera rien. Ces femmes n’en seront que doublement opprimées, prises en souricière entre les intégristes de l’islam et les intégristes de la laïcité. Elles refuseront de se dévoiler ou elles resteront chez elles.
Pire encore : leur nombre risque d’augmenter. Comme cela s’est produit pour le foulard, il y a quelques années, lorsque le PQ a présenté sa charte des valeurs. Est-ce bien cela qu’on veut ?