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Archives de la catégorie ‘Littérature’

Quand Gemini hallucine

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J’aime bien me servir des outils de l’intelligence artificielle que les grands de l’informatique mettent à notre disposition. J’utilise Copilot depuis que Microsoft l’a intégré à ses logiciels, l’année dernière. Et depuis quelque temps, je recours aussi à Gemini, que Google a couplé à son célèbre moteur de recherche. L’un et l’autre sont devenus mes fidèles collaborateurs pour la rédaction de mes carnets.

Dans la majorité des cas, les informations que m’apportent ces deux robots, je pourrais les trouver moi-même. Mais il me faudrait bien plus de temps. Une des belles qualités de l’IA, c’est sa stupéfiante rapidité.

Il faut ajouter que l’IA m’apporte parfois des réponses que je n’aurais pas dénichées autrement. Je me souvenais, par exemple, d’une étude célèbre sur la soumission à l’autorité. L’ennui, c’est que cette recherche datait des années soixante et que j’avais beau avoir écrit un article sur le sujet, j’avais oublié le nom de son auteur, le psychologue Stanley Milgram. Qu’importe ! J’ai fait la demande avec le peu d’informations dont je disposais et, bingo ! Gemini a retrouvé les renseignements que je cherchais.

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« Mille secrets mille dangers »

milleLa chroniqueuse de La Presse, Chantal Guy, classe « Mille secrets mille dangers », le dernier roman d’Alain Farah, comme l’un des meilleurs livres écrits au Québec dans les 20 dernières années. Je ne connais pas suffisamment notre littérature pour porter un tel jugement. Mais je connais assez la littérature pour dire que c’est un roman très fort. Un livre comme on en lit peu. Un livre qui marque et qu’on n’oublie pas. C’est un autre chroniqueur de La Presse, Patrick Lagacé, qui me l’avait fait découvrir. Il avait adoré cette œuvre d’autofiction. Je me suis fié à son enthousiasme. J’ai été fasciné moi aussi par ce récit.

De quoi s’agit-il ? De la journée de mariage de l’auteur, dont la narration s’étend sur 500 pages. Cela peut paraître beaucoup, mais on ne s’ennuie pas une seule page. La construction est complexe et audacieuse. On a parfois l’impression que Farah va finir par se perdre dans les digressions, qu’il va s’égarer dans les méandres de ses souvenirs. Mais non ! Il se rattrape toujours. Tout finit par se rejoindre et par former un tout. Passionnant ! J’ai déjà hâte de relire ce roman.

Mes carnets fêtent leurs 15 ans

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Lise et moi au lac Como en 2007.

J’ai commencé à tenir ce blogue il y a 15 ans, pendant un voyage en Italie, fertile en surprises et en mésaventures. Un exemple : nous avons découvert à notre arrivée que l’appartement que nous avions loué dans la campagne milanaise était situé au-dessus d’une étable occupée par trois vaches dégageant la bonne odeur du terroir italien. Ce carnet a bien fait rigoler.

Tout comme celui de notre visite à Milan ou plus précisément de notre retour. Nous avions appris par une passagère que le train dans lequel nous étions montés était en panne. Un peu énervés, nous avons suivi les passagers vers un autre train. Sauvés, avons-nous cru, mais pas pour longtemps, car il ne menait pas à la gare d’où nous étions partis. Il avait plutôt emprunté d’autres rails, qui menaient à Lecco, une vingtaine de kilomètres plus au nord, où nous avons dû prendre un autre train pour revenir à Monte. Finalement, il nous a fallu trois heures pour parcourir les 40 kilomètres que nous aurions dû faire en moins de 40 minutes.

Les carnets étaient lancés. J’ai continué à écrire chaque fois que nous partions en voyage. Le nombre de lecteurs augmentant lentement mais sûrement, j’ai créé un blogue pour mieux les accueillir. Lise s’est mise aux photos. Les lecteurs sont passés de quelques dizaines à quelques centaines, puis à quelques milliers quand ma compagne et moi avons parcouru les routes de l’Amérique pendant trois ans et que mon blogue était publié chaque samedi sur le site du magazine Camping Caravaning.

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Suis-je flexible ou intransigeant ?

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Récemment, La Presse a publié une belle entrevue avec le psychologue Adam Grant. Dans son nouvel ouvrage, l’auteur du « Pouvoir de la pensée flexible » nous invite à « penser autrement » dans toutes les sphères de notre vie. Il estime, en effet, que nous sommes trop attachés à nos idées et à nos opinions, comme en témoigne notamment le clivage sur les réseaux sociaux. « Nous cherchons constamment à justifier nos croyances afin de soigner notre ego, protéger notre image et valider nos décisions passées », écrit-il.

Ma compagne tenait à ce que je lise ce texte. Aussi me l’a-t-elle envoyé. (Le matin, nous lisons l’un en face de l’autre et échangeons des textes ou des réflexions.) Au cours de notre promenade, nous avons discuté de l’interview d’Émilie Côté.

– Je crois avoir une pensée plutôt souple, ai-je dit à Lise.

– Tu me sembles plutôt avoir des idées bien arrêtées !

Sa réplique m’a plongé dans des abîmes de perplexité. Moi qui me crois ouvert, serais-je plutôt quelqu’un de têtu et d’obstiné ? J’en vois déjà sourire.

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De Simenon à « La casa de papel »

J’avais envie depuis un bon moment de relire un Simenon. Je ne me rappelle pas avoir fréquenté le commissaire Maigret depuis 50 ans. Comme mon ami Jean-Luc, dont les goûts littéraires sont très sûrs, avait placé « Le port des brumes » dans sa liste de 10 meilleurs romans, c’est celui-là que j’ai choisi.

Je ne suis pas mécontent d’avoir retrouvé le plus célèbre des auteurs francophones de polars et son enquêteur vedette. J’ai retrouvé ce qui fait le charme de Simenon : le style limpide, la création subtile des atmosphères, les dialogues savoureux, les personnages forts, la description juste des états d’âme, les intrigues simples mais fines, dénouées avec art.

Pourtant, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il y a dans les romans de Simenon des éléments qui datent. À commencer par sa peinture très stéréotypée des dames. Ou elles sont sans charme, revêches, aigries, et acariâtres. Ou elles sont mignonnes, mais alors elles sont émotives, en pâmoison ou en hyperventilation, promptes à s’évanouir pour un rien, incapables d’actions et de décisions. De bien faibles créatures ! Mais ne parlait-on pas à l’époque du sexe faible ? Les caractères forts, en tout cas, sont chez Simenon des hommes.

Dans la France de 1932, il est vrai, les femmes n’occupaient pas la place qu’elles ont prise aujourd’hui. Reste qu’il y a chez notre célèbre romancier une vision plutôt machiste de la femme, vision qui à mon sens n’a pas très bien vieilli.

  • Le port des brumes ***1/2

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Le bonheur de la marche

Grâce à la marche, l’enfermement me paraît beaucoup moins difficile. Une fois dehors, j’éprouve une impression de bonheur. Sauf peut-être quand le froid fait plus penser à l’hiver qu’au printemps. Mais je m’endurcis. J’ai même éprouvé quelques moments d’extase dimanche sous la pluie.

Je ne pars généralement pas avant 10 h 30 et je reviens une heure plus tard. Me mettre en marche vers 7 h, voire plus tôt, comme le fait ma compagne, très peu pour moi. À cette heure-là, je suis encore au lit. Je fais maintenant sonner le réveil à 8 h. C’est pour faire plaisir à Lise, qui au retour de sa promenade a faim. Sinon, je roupillerais sans doute davantage. Mais une fois debout, je suis content.

Un jour, je mets le cap vers l’ouest, où m’attend le canal de Lachine, l’autre vers l’est, où je déambule dans le Vieux-Port. Cette alternance me semble plus stimulante. Je pourrais aussi opter pour le nord, en me rendant à la montagne. Mais c’est un parcours plus long et plus exigeant, que je réserve habituellement pour les week-ends. Depuis quelques jours, j’ai repris les bâtons de marche. Ce sont les super-cannes des super-vieux.

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Quarantaine : jour 9

« Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran »

En temps de confinement, le président de la France a suggéré de lire. Excellente idée ! Pour ma part, m’adonnant à la lecture à longueur d’année, je n’avais pas attendu le conseil de M. Macron pour m’y mettre. Mais il est vrai que la réclusion favorise l’intimité avec les livres.

Ma plus belle découverte : « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran ». Est-ce un court roman ? Une longue nouvelle ? Un grand monologue ? Peu m’importe ! C’est un petit chef-d’œuvre, comme « La Vie devant soi » de Romain Gary, auquel il fait parfois penser.

J’avais vu l’adaptation qu’on a en tirée pour le grand écran. Je me souvenais d’un bon film mettant en vedette un Omar Sharif vieillissant dans un de ses grands rôles. Je m’aperçois, en lisant le livre, que le réalisateur François Dupeyron s’est permis beaucoup de libertés, comme c’est presque toujours le cas. Et comme c’est souvent le cas aussi, quelques-unes de ces licences trahissent l’esprit de l’œuvre d’origine. On dit souvent que traduire, c’est trahir. Adapter, c’est pire encore. Quand dans le livre, par exemple, Monsieur Ibrahim amène Momo apprendre à danser, ce n’est pas dans une boîte où l’on se déhanche sur des airs de rock’n’roll, mais chez les derviches tourneurs. On admettra qu’il y a là toute une différence !

Bref, comme c’est presque toujours le cas (et c’est un amateur et ancien critique de cinéma qui vous l’affirme), le bouquin est nettement supérieur au long métrage. J’ai été ému de bout en bout par ce récit qu’Éric-Emmanuel Schmitt définit fort justement « comme une fable, une leçon de vie, un voyage initiatique ». Comme un éloge du bonheur également.

Ce petit livre est un grand livre. Un des plus beaux que j’aie lus. C’est pourquoi je n’hésite pas à lui attribuer cinq étoiles.

– Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran *****

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Mes livres de 2019

Les gratitudes ****1/2

L’an dernier, je vous avais parlé des « Loyautés », un roman où Delphine de Vigan s’affirmait de plus en plus comme une des grandes romancières de notre temps. Cette année, la Française nous fait le cadeau d’une œuvre tout aussi forte, « Les gratitudes ». Si le précédent était noir, à la limite du pessimisme et du supportable, malgré une fin ouverte, le second est beaucoup plus lumineux, même s’il y est question de mort.

L’éditeur résume bien l’intrigue : Michka, une vieille dame, est en train de perdre l’usage de la parole. Autour d’elles, deux personnes se retrouvent : Marie, une jeune femme dont elle est très proche, et Jérôme, l’orthophoniste chargé de la suivre. De Vigan en a tiré un récit aussi passionnant que bouleversant ! C’est mon livre de 2019.

 

« La mort d’un père » ***1/2 et « Un homme amoureux » ****

C’est cette année que j’ai découvert Karl Ove Knausgaard. Ce Norvégien est devenu célèbre pour avoir publié une série de six romans autobiographiques, regroupés sous le titre « Mon combat ». À ce jour, cinq ont été traduits en français. Je viens de lire les deux premiers.

Je suis d’abord sorti avec une impression mitigée de « La mort d’un père », consacrée à sa relation difficile avec un papa autoritaire, où des pages souvent remarquables sont alourdies par des descriptions pointilleuses, voire carrément superflues.

Ce que Wikipédia appelle son réalisme rigoureux peut en effet virer à l’obsession du détail. En voici un bon exemple : « Je vidai mon verre et m’en resservis un, puis tirai un papier à cigarette, y déposai une ligne de tabac, l’aérai un peu pour un meilleur tirage, le roulai, l’enfermai dans le papier, léchai la colle, ôtai les bouts de tabac qui dépassaient, les remis dans le paquet, mis la cigarette un peu tordue à ma bouche et l’allumai avec le briquet vert et à moitié transparent d’Yngve. » C’est ce style de narration qui a éloigné plusieurs lecteurs assidus à qui j’en ai parlé. Je peux les comprendre, mais c’est dommage, car Knausgaard vaut beaucoup mieux.

Heureusement dans « Un homme amoureux », le style, tout en restant hyperréaliste, devient plus limpide. Il y a bien çà et là quelques dialogues trop longs ou quelques réflexions socio-philosophiques un peu pesantes. Mais dans l’ensemble, j’ai été passionné par cette période où Karl Ove devient amoureux de Linda et fait avec elle trois enfants. Certes, dira-t-on, il ne se passe pas grand-chose dans leur existence. Mais c’est tout le talent de Knausgaard de savoir rendre savoureuse la description d’une fête d’enfants, d’une promenade en poussette, de la préparation d’un repas ou d’une conversation dans un café.

Cela dit, la comparaison avec Proust, pour l’instant du moins, me paraît exagérée et sans doute lourde à porter.

 

Il pleuvait des oiseaux ****1/2

Ce roman date de quelques années déjà, mais il a été remis dans l’actualité par la sortie du film de Louise Archambault. Bonne raison pour le lire ou le relire, car le livre est encore plus fort. Cette histoire de vieux ermites bien cachés dans la forêt québécoise, près d’un lac, pour vivre ce qu’il reste de leur existence, touche à l’universel. Elle fait du bien parce qu’elle incarne magnifiquement la liberté. « La liberté qu’on peut se donner, celle qu’on prend, le fait qu’on est responsable de notre vie et de notre mort aussi », a dit fort justement l’autrice à Josée Lapointe, dans une belle entrevue accordée à La Presse.

 

La Panthère des neiges ****

Comme la plupart des ouvrages de Sylvain Tesson, « La Panthère des neiges » est inspiré par un voyage. Cette fois, l’écrivain aventurier nous amène au Tibet, où il a suivi son ami Vincent Munier. Ce grand photographe animalier voulait photographier la magnifique panthère qui survit encore, bien que menacée, dans les montagnes de cette contrée.

On y retrouve ce qui fait le charme des récits de voyage de cet écrivain. D’abord, une écriture extraordinaire. Tesson est peut-être le meilleur styliste de la langue française depuis Colette, ce qui contribue à rendre ses observations passionnantes, même quand il ne se passe pas grand-chose. Dans ce dernier livre, par exemple, l’écrivain et ses amis écoulent des heures à attendre un félin, qui ne vient pas, du moins pas souvent. Pendant tout leur séjour au Tibet, ils ne verront la merveille que trois fois.

Le reste du temps, l’écrivain nous parle de la nature et des animaux, qui continuent à le fasciner, ainsi que du genre humain, qui continue à le désespérer. Pour lui, Dieu a joué aux dés avec l’être humain, et il a perdu. Tout le progrès nous a menés aux embouteillages et à l’obésité.

Mais tout cela est dit avec humour et élégance. Avec beaucoup d’autodérision aussi. À la fois écolo et antimoderne, l’auteur se montre désenchanté, mais je trouve quant à moi son pessimisme plus souriant que désespérant.

 

Le triomphe des lumières ****

J’ai consacré cette année une longue recension, très élogieuse, à cet essai de Steven Pinker. Cet ex-Montréalais devenu professeur de psychologie à Harvard y soutient que l’humanité, en dépit de problèmes inévitables et de solutions imparfaites, ne s’est jamais mieux portée. Dans un élan d’enthousiasme devant le brio de la démonstration, j’ai écrit que cet ouvrage colossal allait changer ma vie. Depuis cependant, je suis revenu à une inquiétude qui m’est plus familière.

Non pas que le Pr Pinker soit tout à fait à côté de la plaque. Mais comme tous les optimistes, il a tendance à citer les statistiques qui étayent sa thèse. Il est vrai, par exemple, que l’espérance de vie est passée en un peu plus d’un siècle de 30 ans à 71 ans et que dans les pays développés, elle dépasse les 80 ans. Ce que l’auteur ne dit pas, en revanche, c’est que cette espérance a commencé à plafonner dans plusieurs pays, et même à régresser aux États-Unis. Ou encore, il est indiscutable que le taux d’extrême pauvreté a chuté de 75 % au cours des trente dernières années. Vu sous cet angle, le progrès semble spectaculaire. Sauf que les pauvres extrêmes sont devenus des pauvres. Au lieu de vivre avec moins d’un dollar par jour, ils vivent avec un peu plus d’un dollar pendant que le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, lourd de ses 154 milliards, est plus riche à lui seul que des dizaines de pays.

Ce qui m’a fait le plus tempérer mes espoirs, c’est l’année qui vient de s’écouler. Malgré le phénomène Greta, la lutte contre les changements climatiques piétine, comme vient de le montrer la récente Conférence de Madrid. Pire elle régresse. Les émissions de CO2 continuent d’augmenter et la biodiversité est de plus en plus menacée.

Par ailleurs, les réactionnaires autoritaires et populistes, élus ou non, sont bien en selle et continuent à sévir. Qu’on pense à Xi, à Poutine, à Bolsonaro, à Erdogan, à Orban, à Duterte, et j’en passe. Le dangereux Trump risque d’être réélu en 2020. Netanyahou, accusé de corruption, vient pourtant d’être encore choisi par son parti. Et Salvini, le politique le plus populaire d’Italie, attend son heure pour reprendre le pouvoir.

Dans ces circonstances, et vous m’en voyez désolé, il me paraît bien difficile d’affirmer, comme le fait Pinker, que « le monde a fait des progrès spectaculaires dans chaque domaine mesurable du bien-être humain, sans exception ».

À tout prendre, je préfère encore le pessimisme tonique de Tesson.

 

Partir pour raconter ****

J’ai beau avoir été journaliste pendant 45 ans, je n’ai jamais été grand reporter. D’où mon admiration pour les reporters et photographes de guerre en général et pour Michèle Ouimet en particulier, qui vient de publier « Partir pour raconter », chez Boréal. Pendant 25 ans, mon ex-collègue a souvent laissé sa fille Sophie et son compagnon André à Montréal pour aller témoigner de guerres, de révolutions, de génocides ou de désastres aux quatre coins du globe.

Michèle explique son « besoin irrépressible de partir, d’être à l’autre bout de la planète, loin, très loin… par l’impression enivrante de (se) sentir vivante ». Ce qui ne l’empêche pas d’avoir connu la peur, parfois omniprésente « comme un mal de tête », ce qui la rendait prudente. Encore que la prudence soit un mot très relatif quand on lit le récit passionnant et haletant de ses aventures et mésaventures. Si elle n’avait pas peur de mourir, mon ex-collègue craignait d’être blessée ou d’être kidnappée. Et c’était sans compter, pour cette perfectionniste, « la peur de ne pas être à la hauteur ».

C’est d’ailleurs le stress qui a fini par venir à bout de sa détermination et de son courage. Avec le temps, la griserie, l’effervescence et l’excitation se sont sans doute changées en nervosité, en agitation et en épuisement. Désormais, elle se consacre chaque matin à l’écriture de ses romans. La Presse a certes perdu une grande correspondante, mais nous avons gagné une écrivaine.

 

Manam ***1/2

Cinq ans après « Pas envie d’être arabe », Rima Elkouri, une autre ex-collègue, publie son premier roman « Manam ». Dans ce récit, apparemment inspiré par la vie de la grand-mère de l’autrice, une enseignante profite d’un congé scolaire pour se rendre à la frontière de la Turquie et de la Syrie dans l’espoir de faire resurgir le passé de sa famille. Elle nous amène peu à peu, à travers ses recherches et ses rencontres, à découvrir toute l’horreur du génocide arménien, que la Turquie s’entête à nier, un siècle plus tard.

Toutefois, si ce roman est touchant, nous amenant parfois au bord des larmes, il ne verse jamais dans le mélodrame. Comme dans ses chroniques, où elle trouve toujours le ton juste même quand elle aborde les sujets les plus délicats, Rima arrive à décrire la tragédie du peuple arménien sans pathos, sans atermoiements et sans exagérations.

Il faut dire que, au-delà de l’horreur, « Manam » est surtout une belle histoire de résilience, comme on dit aujourd’hui. Une histoire donc de courage, d’espérance et de survivance. Une histoire de bienveillance plutôt que de la haine, de joie plutôt que de tristesse, de gratitude plutôt que d’amertume.

Michèle Ouimet : partir pour raconter… et se sentir vivante

Michèle Ouimet en reportage pour La Presse.

J’ai beau avoir été journaliste pendant 45 ans, je n’ai jamais été grand reporter. Tant s’en faut ! À vrai dire, j’ai fait peu de reportages et quand j’en ai fait, c’était plutôt pépère. Du moins si l’on compare mes petites tribulations à la vie des correspondants de guerre, tels qu’on peut les voir, par exemple, dans « Sympathie pour le diable », un film consacré à Paul Marchand, ce journaliste français qui a suivi pendant plusieurs années les guerres civiles du Liban et de la Bosnie.

Pour l’essentiel, j’ai fait ma carrière dans le confort du pupitre, où le pire risque qu’on court, c’est de se faire engueuler par un reporter pour un titre. Au total, je suis sorti deux fois du Québec pour les besoins du métier. La première fois, c’était pour couvrir le Festival du cinéma francophone à Dinard, où je suis descendu dans un hôtel cossu dont le restaurant était digne du Guide Michelin. La seconde, c’était pour la couverture du tournoi de Roland-Garros, où l’on vous traite aux petits oignons. On est à Paris, après tout !

Bien sûr, dans de tels événements, les journées de travail sont longues ; il faut avoir l’étoffe du marathonien. Mais on ne couche pas sous la tente, sur un matelas dur, entouré de souris ou de moustiques. On n’est pas condamné au jeûne ou nourri de plats infects. On n’a pas besoin d’un somnifère pour dormir la nuit, car on a ingurgité suffisamment de vin rouge. On ne va pas dans des chiottes, mais dans des toilettes en marbre. On n’est pas obligé de compter sur la Croix-Rouge pour rentrer au pays. On ne porte jamais de gilet pare-balles. On ne risque pas d’être emprisonné par les talibans ou les mollahs, arrêté par des policiers brutaux et corrompus, menacé par des extrémistes religieux ou par des groupes armés violents. On ne craint jamais pour sa vie. Tout au plus s’inquiète-t-on parfois pour sa réputation.

Tout ceci pour dire toute mon admiration pour les reporters et photographes de guerre en général et pour Michèle Ouimet en particulier, qui vient de publier « Partir pour raconter », chez Boréal. Pendant 25 ans, mon ex-collègue a souvent laissé sa fille Sophie et son compagnon André à Montréal pour aller témoigner de guerres, de révolutions, de génocides ou de désastres aux quatre coins du globe.

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Connaissez-vous Sylvain Tesson ?

Le prix Renaudot, que ce Parisien de 47 ans vient tout juste de recevoir pour « La panthère des neiges », contribuera sans doute à mieux le faire connaître au Québec. Mais voilà bientôt dix ans que cet écrivain aventurier, plutôt unique dans la littérature française, est une vedette en France.

Depuis en fait la parution de son essai « Dans les forêts de Sibérie », journal intime de ses six mois d’ermitage dans une cabane au bord du lac Baïkal. Ce récit, couronné par le prix Médicis, a connu un grand succès de librairie. On en a même tiré un film, qui n’est pas mauvais du tout, mais qui n’a rien, mais vraiment rien à voir avec le livre, sinon la cabane au bord du lac.

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