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Archives de avril, 2021

L’année du décrochage

Ma petite amie m’ayant largué, j’ai commencé la troisième et dernière année de ma licence en lettres en partageant un appartement avec mon ami Denis. Mais assez rapidement nous avons été expropriés de notre bel appartement qui donnait sur les plaines d’Abraham, pour la construction de ce qui allait devenir le complexe H.

J’ai alors pris une chambre dans un immeuble du Vieux-Québec, la Mansarde. C’était minuscule et pas très pratique. Mais je m’y suis fait de bons amis, étudiants en médecine pour la plupart, de sorte que la vie à Québec m’est devenue presque agréable.

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Loin de l’université

La première année finie, j’ai quitté l’appartement en saluant plutôt sèchement la propriétaire. Je crois qu’elle était soulagée de me voir partir. Le plaisir était réciproque. Mon coloc Raymond m’a raconté qu’un soir où j’étais passablement bourré, je lui avais crié de remonter quand elle était descendue dans notre sous-sol. Mais je n’en gardais aucun souvenir.

Dans mon esprit, il était clair que je ne reviendrais pas là. Pas plus d’ailleurs que dans Sillery ou Sainte-Foy. J’avais plutôt l’intention d’habiter le Vieux-Québec ou Saint-Baptiste, ces deux quartiers fussent-ils éloignés du campus. Au moins, il y avait de la vie. Je n’en avais pas parlé à Raymond. Je n’étais pas sûr qu’il avait adoré notre cohabitation. Mais on n’en avait pas discuté non plus. Plus tard cet été-là, j’ai appris par quelqu’un d’autre qu’il allait louer un appartement avec Louis, un confrère de la faculté. Sur le coup, j’en ai été blessé.

Toutefois, cela n’avait pas une grande importance, ne serait-ce que parce qu’il avait l’intention de rester près de l’université. De plus, ma petite amie a proposé de venir me rejoindre à Québec. Nous avons opté pour le quartier Saint-Jean-Baptiste, près près de la vieille ville et de ses remparts.

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Le premier hiver pénible

Malgré cet arrangement, le premier hiver a été pénible. Je n’aimais déjà pas la saison froide. Or, j’avais l’impression d’habiter désormais la Sibérie. Je ne venais pourtant pas de la Floride, mais de Trois-Rivières, 125 kilomètres plus au sud. Mais je n’ai pas connu ville plus glaciale que Québec.

L’automne, quand il pleuvait, j’avais l’impression qu’il tombait de la glace. Et il ventait tellement que le parapluie était, dans cette cité bâtie sur le cap Diamant, un accessoire inutile. L’hiver venu, évidemment, c’était pire encore. Certains jours, juste d’entendre à la radio qu’il faisait -25, voire – 30, me glaçait tellement que je restais dans notre sous-sol. Et pourtant à l’époque, il n’était pas encore question du facteur éolien ou du ressenti. Je me sentais presque comme les Africains du campus, qui commençaient à porter la tuque dès le mois d’octobre et qui nous lançaient : « Ah ! Dis donc. C’est froid l’hiver chez vous ! » Eh oui, mec, attends janvier et on en reparlera !

Québec m’ennuyait et l’atmosphère de l’université me déprimait. Je ne devais pas être le seul, car il y a eu cette année-là une vague de suicides, notamment parmi les étudiants africains, accablés par la froidure une fois que l’hiver, le vrai, était venu. La vague a été forte au point d’inquiéter les autorités de l’institution. Pour ma part, je n’ai jamais songé à mettre fin à mes jours. Mais je traînais mon spleen. En fait, en bon romantique, je me complaisais sans doute dans cette mélancolie.

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L’Université Laval

J’ai quitté Trois-Rivières en 1965 pour aller étudier à l’Université Laval. J’avais 20 ans. Je rêvais de ce départ depuis des années. Ma ville natale était conservatrice et homogène, à l’image du Québec de cette époque. Elle n’était pas facile à vivre pour un jeune intello révolté et athée. Être intello, c’était mal vu par un peu tout le monde. Être révolté n’était pas une qualité dans une ville où l’on se révoltait si peu et où l’idéal était de ressembler à son voisin. Enfin, être athée était une tare dans une cité encore dominée par le clergé. Je rêvais donc de quitter Trois-Rivières depuis des années. L’université était la clé de ma libération.

J’ai eu bien peur que mon évasion ne tombe à l’eau quand l’Université du Québec à Trois-Rivières, alors naissante, a décidé d’offrir la première année de la licence en Lettres. Le recteur de la faculté m’a même téléphoné pour me convaincre de m’y inscrire. Pour moi, c’était non, non et non ! Mais encore fallait-il en convaincre mon père, qui payait mes études. Et m’installer à Québec coûtait très cher. J’ai plaidé que l’Université Laval offrait des cours plus nombreux, plus variés et sans doute meilleurs. Ce qui était vrai. Mon père a accepté mon argumentaire et j’ai pu mettre le cap sur la capitale.

La grande question avait été non pas Québec ou Trois-Rivières, mais Québec ou Montréal ? Je ne me souviens pas d’avoir beaucoup hésité. J’avais rapidement choisi d’aller étudier à l’Université Laval. En toute logique, j’aurais pourtant dû choisir Montréal, la vraie grande ville, avec laquelle j’avais beaucoup plus d’affinités. D’autant que ma petite amie de l’époque y terminait son cours classique. Pourquoi alors avoir choisi la direction opposée ?

Il y a sans doute plusieurs raisons, plus ou moins conscientes. J’ai sans doute suivi mes amis, notamment Raymond, Denis et Lester, mes complices du journal étudiant, qui avaient choisi Québec. À l’époque, j’étais assurément un peu trouillard. Il n’est donc pas surprenant que j’aie opté pour leur présence rassurante. D’autant que ma petite amie était entourée de jeunes gens brillants et cultivés, qui m’impressionnaient beaucoup et auxquels je n’avais pas très envie d’être comparé. C’est ainsi que je me suis retrouvé à Québec plutôt qu’à Montréal.

Malgré tout, quitter Trois-Rivières était déjà un immense bonheur. Dieu que cette ville m’avait pesé au cours des dernières années ! Et puis Québec était une jolie cité, la plus belle sans doute de la province. Ce n’était pas la métropole, certes, mais c’était quand même une grande ville, comparée en tout cas à celle que je quittais. Je m’y suis donc amené avec beaucoup d’espoir en septembre 1965.

Mes parents avaient proposé de me conduire à Québec pour la rentrée. Denis et Jacques F., un élève du collège qui avait également opté pour les lettres, étaient du voyage. Nous nous sommes assis tous les trois sur la banquette arrière de la grosse Buick blanche à l’intérieur rouge. Il a fallu nous arrêter en route parce que Jacques, qui avait trop fêté la veille, a été malade. Je m’attendais à ce que mon père en soit mécontent, mais il s’est montré stoïque et même gentil.

Mes parents ont sans doute été rassurés en découvrant le sous-sol que Denis, Raymond, qui allait venir nous rejoindre, et moi avions loué à Sillery, près du campus. Rassurés sans doute aussi par la propriétaire, une veuve d’une cinquantaine d’années, qui allait veiller sur nous. Et de fait, il paraissait bien confortable ce sous-sol. On y trouvait trois chambres, un séjour avec table de ping-pong transformable en billard et une cuisine bien aménagée. Rien à redire. Et en prime, ce n’était pas cher.

C’est là que j’allais entreprendre ma nouvelle vie, ma vie rêvée. J’étais radieux.

J’ai vite déchanté. D’abord, la colocation a mal débuté entre Denis, Raymond et moi. Ou plus précisément entre Denis et Raymond. Il fallait se partager les chambres. J’avais tout de suite opté pour celle du milieu, que personne ne convoitait. Mes colocs voulaient tous deux celle du fond. Il a fallu tirer au sort. Denis a perdu. Je crois qu’il l’a mal pris. Dans les jours qui ont suivi, en tout cas, il s’était montré renfrogné. Puis à la fin du mois, il nous a annoncé son intention d’aller s’installer sur le campus. Il faut dire à sa décharge que l’atmosphère à l’appartement ne lui plaisait pas. Il nous trouvait lourds, Raymond et moi, et je peux le comprendre.

Cependant, là n’était pas le pire. J’ai tout de suite pris en grippe le campus de l’Université Laval. L’année précédente, la faculté de lettres était encore dans le Vieux-Québec, un très beau quartier que des générations d’étudiants avaient adoré. Mais en 1965, la faculté était allée rejoindre toutes les autres sur un immense terrain situé à Sainte-Foy, près des grands centres commerciaux. Un nouveau lieu, froid à tous les égards, peu hospitalier et sans vie, que j’ai rapidement surnommé La Steppe.

Je n’étais pas entiché non plus par notre quartier. À l’origine, j’avais envisagé d’habiter le Vieux-Québec, même si ma faculté n’y était plus. Mais le quartier historique m’avait finalement paru trop loin, d’autant que les transports en commun étaient déficients. C’est ainsi que nous en étions venus à nous installer près de l’université, à Sillery. En principe, c’était la plus jolie ville de l’agglomération. C’est vrai pour les secteurs qui longent le fleuve. Mais notre lotissement était composé de bungalows sans charme particulier. J’ai regretté rapidement ce choix.

Quant à l’appartement lui-même, il était certes confortable, mais la propriétaire était une femme de principes, surtout moraux. De surcroît, elle s’est révélée envahissante, autoritaire et peu commode. Pas question, notamment, de recevoir des filles dans sa maison. L’interdiction était aussi stricte que dans les résidences d’étudiants du campus et bien plus sévère que dans ma propre famille, que j’avais pourtant quittée pour être enfin plus libre.

Le quartier environnant n’était pas plus accueillant que le campus. Pas de bars, pas de cafés, encore moins de tavernes, pas de cinémas, pas de salles de spectacles, rien. Un désert. Bien sûr, on pouvait trouver dans le Vieux ce qui nous manquait tant. Mais c’était à l’autre bout de la ville. Les autobus étaient rares et le parcours était long. On y allait donc peu souvent. Le quartier historique était resté très beau, très européen avec ses remparts. Mais il avait perdu une partie de son âme avec le départ de l’université. Ce n’était pas encore ce centre touristique sans grand intérêt qu’il allait peu à peu devenir, dévasté par les chambres d’hôtes et les appartements loués par Airbnb, mais les germes du changement étaient déjà visibles.

Le pire toutefois, c’était la faculté de lettres. Dans mon âme d’adolescent romantique, j’avais imaginé cet endroit comme un incubateur de futurs écrivains, comme un haut lieu de passionnés de littérature, de peinture et de musique. Je m’étais imaginé en Zola discutant avec Mallarmé et Cézanne. Je découvrais une faculté infestée par les prêtres, les frères et les sœurs, venus chercher un diplôme avant la création des cégeps, ainsi que par des étudiants refusés en droit, en médecine ou en génie, qui s’étaient rabattus sur un département où l’on acceptait tout le monde. La plupart des étudiants n’écrivaient pas et ne rêvaient pas de le faire. Beaucoup ne lisaient même pas, exception faite des lectures obligatoires, et encore.

Je m’en étais aperçu dès l’étape du choix des cours. Il fallait rencontrer à tour de rôle le frère R., installé dans une salle de cours. C’était un homme gros et grand, plutôt aimable et néanmoins imposant. Il parlait d’une voix de stentor, de sorte qu’en attendant son tour on entendait très bien ses questions. Moi qui rêvais de faire de la radio, j’ai tout de suite été envoûté par la rondeur de sa voix et par la qualité de son français. Comme la faculté offrait un grand choix de certificats, le frère posait des questions pour mieux connaître les intérêts et les motivations des étudiants. Il devenait vite évident, en écoutant les réponses, que bien peu s’intéressaient vraiment à la littérature.

Dès le premier cours de littérature française, j’ai croisé l’abbé Cossette, qui était pion au séminaire Saint-Joseph. On l’appelait méchamment La Bécosse. Très athlétique, il était doué pour les sports. Mais à tort ou à raison, je le voyais mal comme mon confrère en lettres.

Bien sûr, rien ne nous obligeait plus à aller à la messe tous les jours et il n’y avait plus de cours de religion. De plus, la littérature n’était plus enseignée sous l’angle du catholicisme. Personne ne nous interdisait de lire des livres à l’Index. Nous pouvions lire ce qu’on voulait et penser ce que nous voulions. Pour moi qui avais craint d’être mis à la porte du séminaire Saint-Joseph en raison de mon athéisme, c’était un grand progrès. Reste que le religieux restait très présent, tant parmi les étudiants que parmi les professeurs. Parmi ces derniers, il me fallait supporter un prêtre, un religieux et une religieuse, laquelle portait encore la cornette. Sept années de cours classique ne m’avaient guère rendu tolérant, je dois le reconnaître.

Les cours étaient souvent donnés dans de grands auditoriums où l’on s’entassait par dizaines. Si au moins les professeurs avaient été intéressants. Mais peu pédagogues et plutôt distants, ils débitaient des généralités sans intérêt sur des écrivains que nous avions déjà étudiés au collège. Il fallait en effet se taper à nouveau les auteurs du Moyen-Âge, de la Renaissance et du siècle des Lumières. La littérature contemporaine, que je rêvais d’étudier depuis des années, on ne l’aborderait pas avec la troisième année, et encore, dans la seconde partie de l’année.

Ça, c’était pour la littérature française, celle qui m’intéressait le plus, pour ne pas dire exclusivement. Pour ce qui est de la littérature québécoise, qu’on appelait encore canadienne, elle était peu abondante dans les années 60. Et le menu qu’on nous proposait était plutôt indigeste. On y trouvait surtout des « classiques » du XIXe siècle, aussi pompeux qu’ennuyeux pour la plupart.

Heureusement, il y avait le certificat dit de français moderne, que j’avais intégré à ma licence libre et duquel, au départ, je n’attendais pas grand-chose. Mais à ma grande surprise, ces cours de grammaire, de stylistique, de lexicologie et de phonétique m’ont passionné. Au bout de quelques mois, ce fut même les seuls auxquels j’ai continué à assister. Pour la littérature, j’avais plutôt décidé d’étudier en lisant par moi-même les auteurs au programme. Les cours, de toute façon, ne m’apprenaient rien. Je lisais toutes les nuits jusqu’à 3 ou 4 h. J’adorais ces heures tranquilles dominées par le silence et l’obscurité. Je lisais les auteurs au programme, bien entendu, pour pouvoir réussir les examens. Mais je lisais surtout les romanciers du XIXe et du XXe siècle. Mes favoris étaient Camus, Proust, Balzac et Maupassant. Je faisais les travaux exigés et je ne me rendais à la fac que pour les cours de français.


Demain : Le premier hiver pénible

« Juste bon dans une matière »

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Ma classe en 1963.

Quand les deux dernières années sont arrivées, je ne m’intéressais plus guère qu’à la littérature et à la philosophie. Malheureusement, il nous restait encore une année de mathématiques, avec à la fin le terrifiant examen du Ministère, plus la chimie et la physique. J’ai essayé de les éviter en allant terminer mon cours classique dans le seul collège du Québec où j’aurais pu éviter ces matières, à Montréal. Bien sûr, cela m’aurait fermé la porte de la plupart des facultés. Mais il s’agissait de facultés où je n’avais de toute façon pas l’intention de mettre les pieds.

Cependant, il m’aurait fallu obtenir le feu vert de mes parents, et il n’est jamais venu. L’abbé Dostaler, à qui ils en avaient parlé, jugeait que ce n’était pas une bonne idée, estimant sans doute que j’allais perdre la foi pour de bon dans la grande ville.

J’ai donc achevé mon cours à Trois-Rivières, en m’emmerdant à faire des maths et des sciences dont je ne voyais pas l’intérêt. Je savais déjà que j’irais étudier en lettres à l’université. J’ai réussi de peine et de misère à obtenir la note de passage en mathématiques, en chimie et en physique.

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Dilettante et impertinent

Paul en Methode

Le professeur à gauche sur la photo, c’est « Pitou ».

Après l’exigeante année où nous avions gobé l’Élément et la Syntaxe, les études étaient devenues presque trop faciles. Nous n’avions en effet qu’une année à réussir au lieu de deux. J’ai commencé à moins étudier, en particulier dans les matières qui m’intéressaient peu. C’était le cas du grec, que nous commencions à étudier. J’aimais bien le latin pourtant. Mais le grec, même si nous avions un bon professeur, ça ne me branchait pas. Et l’algèbre, alors là, je détestais franchement.

Il faut dire que je m’étais brouillé assez tôt avec notre enseignant. Il aimait se lancer dans des tirades passéistes sur la jeunesse de l’époque ; elles m’agaçaient. Un jour où il déblatérait encore contre nous, les jeunes d’aujourd’hui, j’ai profité d’une pause, où il reprenait son souffle, pour lancer : « Jeunesse corrompue, vieillesse sur le cul ! » L’éclat de rire fut général. Pitou, comme nous l’appelions, a accusé le coup sans mot dire, mais il a pris mon numéro de plaque, comme on dit. Je crois qu’il ne m’a jamais pardonné cette insolence.

À compter de cette année-là, j’ai continué à être le préféré de certains profs. Mais fait nouveau, j’ai aussi commencé à en agacer d’autres, qui me jugeaient impertinent.

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Le séminaire Saint-Joseph

En septembre 1957, je suis entré au séminaire Saint-Joseph. Aujourd’hui, on dirait plutôt collège. Mais à l’époque, c’était un séminaire, un petit séminaire, par opposition au grand séminaire, où l’on formait les prêtres. C’est là que se donnait le fameux cours classique.

Je vous parle d’un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. Imaginez un cours qui s’étendait sur huit ans, où la majorité des profs étaient des prêtres, où l’on apprenait le latin et le grec, où l’on allait à l’école le samedi jusqu’à 17 h 40. Ce cours élitiste coûtait cher, mais il menait à l’université, y compris aux facultés les plus prestigieuses comme la médecine et le droit. C’était aussi le seul cours qui permettait d’accéder à la prêtrise. Avoir un prêtre, c’était le vœu le plus cher des familles à l’époque.

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J’aimais beaucoup l’école

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L’intimidation exceptée, j’aimais beaucoup l’école. Elle était faite sur mesure pour moi. Bien sûr, la discipline était rude, voire violente. Dès la première année, j’étais tombée sur une institutrice, Mme Gauthier, qui avait l’air d’une matrone et s’était faite, au fil des années, une réputation, amplement justifiée, de sévérité.

En troisième année, la maîtresse avait une grande règle, dont elle n’hésitait pas à se servir. Nous faisions une dictée quotidienne, où elle ne tolérait que trois erreurs. Au-delà, les élèves fautifs recevaient chacun un coup de règle par faute, et elle frappait sèchement. Il n’y a qu’un élève qui ne se mettait jamais à pleurer, et pourtant c’était lui qui en recevait le plus. Encore aujourd’hui, je reste admiratif. Si son français était déficient, sa bravoure était à toute épreuve.

L’année suivante, nous sommes tombés sur un prof complètement dingue, M. Laferté, un rouquin plutôt sanguin, qui lançait des craies à la tête des élèves. Dans ces mauvais jours, même les brosses du tableau lui servaient de projectiles. Quand nous nous mettions en rang, si un élève avait le malheur d’être distrait ou de parler, il recevait une taloche derrière la tête.

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L’école Saint-Sacrement

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L’école Saint-Sacrement est devenue une école d’hôtellerie.

En 1950, l’année de mes 5 ans, mon petit frère Raymond est né et nous avons déménagé dans la grande maison du boulevard Saint-Louis.

Mettons la caméra sur un drone. Elle monte au-dessus du boulevard Saint-Louis, découvrant un lotissement récent qui s’étend jusqu’au pied du deuxième coteau au nord et jusqu’à la rivière Saint-Maurice à l’est. Beaucoup de terrains sont encore inoccupés, couverts de buissons et même de plants de bleuets, dont nous nous délecterons l’été jusqu’à ce que tous les terrains soient occupés.

Au premier plan, notre maison occupe une position dominante. Peut-être n’est-elle pas si grande que je l’ai longtemps cru, notre belle maison. Rien à voir, par exemple, avec ces demeures de riches qu’on peut admirer sur le Summit Circle à Westmount ou dans le Mille carré doré à Montréal. Mais juchée sur un haut talus, contrairement aux autres résidences du voisinage, elle en imposait. Mon père en était très fier et du coup nous aussi. Ses affaires allaient bien. Aussi venait-il également de troquer sa vieille voiture pour une rutilante Chevrolet de l’année.

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Né en 1945

J’ai finalement écrit mon autobiographie. Non je ne prends pas pour Barack ou Michelle Obama. Ni même pour Janette Bertrand. Mais je portais depuis longtemps le projet de raconter cette vie qui dure maintenant depuis 76 ans. Ce projet, je le remettais toujours au lendemain, à la faveur de mes longs voyages. La pandémie, en me forçant à rester à la maison, a ravivé cette envie, qui a fini par se matérialiser.

Les lecteurs qui me connaissent remarqueront vite d’importantes omissions. Dans Né en 1945 , il sera peu question de ma vie sentimentale, qui tient pourtant une grande place dans mon existence. Certains auteurs n’hésitent pas à parler de leur(s) compagne(s). Pour ma part, j’avais commencé à le faire, mais certaines réactions m’ont convaincu que le sujet était trop délicat. Si un jour j’aborde mon parcours amoureux, ce sera plutôt dans une œuvre de fiction, où les noms seront modifiés et où je me permettrai certaines libertés.

Certains chapitres pourraient avec le temps être retouchés et augmentés. C’est le cas notamment des deux derniers, qui portent sur la spiritualité et sur la vieillesse. Le grand âge m’amènera sans doute à les étoffer.

Il n’est pas impossible non plus que j’ajoute à cette autobiographie de nouveaux chapitres. Je me rends compte, par exemple, que je n’ai pas beaucoup traité de l’importance de la culture dans ma vie. Bien sûr, j’ai parlé de la littérature, mais fort peu du cinéma et de la musique, qui occupent une place importante.

Ces modifications et ajouts seront d’autant plus faciles à faire que Né en 1945 n’est pas un livre imprimé. J’ai choisi de le diffuser sur l’internet, sans même chercher un éditeur, de sorte qu’il restera un « work in progress ». Comme moi, il continuera à vivre.

 

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La maison où je suis né a survécu au passage de l’autoroute, juste derrière. La photo a été prise et coloriée par mon frère Gilles.

Rue Laviolette

Je suis né le 15 janvier 1945. Dans les Ardennes, les Alliés avaient mené ce jour-là une série de contre-attaques contre les Allemands. La Deuxième Guerre mondiale n’était encore ni gagnée ni finie, mais de ce côté-ci de l’Atlantique, la confiance était revenue. Les Québécois, qui avaient tellement rechignés à participer à cette guerre, savaient désormais qu’ils allaient la gagner.

C’est le début du fameux baby-boom, dont je suis un des premiers rejetons. Mes parents s’étaient mariés sept ans plus tôt. Mais ma mère n’était pas encore parvenue à mener une grossesse à terme. Était-ce l’anxiété de la guerre qui l’avait rendue infertile ?

Là, je viens tout juste de naître à Trois-Rivières. Dehors, il faut très froid, mais dans la chambre où maman vient d’accoucher, entourée de deux tantes, il fait chaud. Je la trouve très belle avec ses longs cheveux presque noirs et son sourire si engageant, si bienveillant. Elle est fatiguée sans doute, mais radieuse d’avoir enfin un fils. Son premier fils, tant attendu. Son fils chéri ! Dans quelques jours, elle aura 32 ans.

J’apprendrai bientôt que j’ai une sœur, une grande sœur, Yvonne. Mais elle est pour l’heure chez une tante. Mes parents l’ont adoptée cinq ans plus tôt. Sa maman est morte en couche. Elle était la dixième de la famille. Papa et maman sont allés la chercher pour donner du répit au père. Elle n’est jamais repartie de la maison. Elle restera pour toujours ma grande sœur.

J’ai aussi un papa, mais il n’est pas là. À l’époque, les pères n’assistaient pas aux accouchements. Il travaille juste de l’autre côté de la rue dans une entreprise de portes et fenêtres.

Je vais vous montrer à quel endroit. Suivez la caméra qui sort par la fenêtre et s’élève au-dessus de la rue Laviolette, dévoilant un bâtiment de taille moyenne en bois. C’est la boutique Albert Roux, portes et châssis. Papa en a hérité de son père Albert, mort quelques mois plus tôt. Grâce à elle, nous ne manquerons de rien. Camille, c’est le nom de mon papa, travaille dans le bureau, à la gauche du bâtiment. La machinerie occupe le rez-de-chaussée, les travaux de peinture se font au sous-sol. Dans la cour, un grand entrepôt abrite les matériaux de construction, le reste étant occupé par des piles de madriers.

À l’étage, mon oncle Édouard, partenaire de mon papa en affaires, occupe un logement. À gauche de l’immeuble, mon oncle Pit vit au rez-de-chaussée d’une maison de trois étages dont il vient d’hériter. À droite, c’est l’oncle Paul qui a reçu une maison semblable. Dans les rues avoisinantes, j’ai aussi plein d’oncles et de tantes, qui eux n’ont hérité de rien. Les filles d’Albert, en particulier, devront attendre que la grand-mère meure pour toucher quoi que ce soit. C’est elle qui a mis la main sur les sous.

Puis, la caméra pivote sur elle-même, montrant cette fois notre petite maison de brique. Elle est plutôt coquette. Mon papa, qui était menuisier avant de devenir patron, l’a construite le soir après le travail et les fins de semaine.

Entre les deux, on peut voir une rue plutôt achalandée. C’est par là que passent les autos qui se rendent sur les côteaux de Trois-Rivières, en plein essor. Comme je ne marche pas encore, je ne sais pas que notre joli cottage est situé du mauvais côté de la rue, coincée entre cette voie passante et la voie ferrée. Je ne sais pas non plus, mais je l’apprendrai bien assez vite, que je n’aurai pas le droit de la traverser seul et que je m’y ennuierai beaucoup.

C’est là donc que tout commence pour moi. Je vais tenter de vous raconter ce qui s’est passé depuis. Mais pas nécessairement par ordre chronologie. Plutôt par thèmes.


Demain : L’école Saint-Sacrement