Martha et le mythe de l’éternelle jeunesse
L’octogénaire Martha Stewart est devenue la personnalité la plus âgée à se retrouver à la une du numéro spécial de maillots de bain du magazine Sports Illustrated. Faut-il s’en réjouir ?
Deux éditorialistes de La Presse en ont discuté amicalement dans le numéro de dimanche. Alexandre Sirois applaudit ce coup de marketing, alléguant qu’il s’agit « d’un pied de nez fait à une industrie médiatique où les personnes âgées sont sous-représentées et trop souvent associées à des stéréotypes négatifs ». Nathalie Collard, au contraire, s’en inquiète, voyant là un message pernicieux : « ne lâchez pas, mesdames, soyez sexy jusqu’au cercueil, c’est là votre valeur suprême ».
Spontanément, je suis d’accord avec Nathalie. D’autant qu’être aussi sexy à 81 ans n’est pas à la portée de toutes. Il faut être bien coiffée, bien maquillée et bien fringuée, par les meilleurs professionnels, il va sans dire. Les crèmes anti-âge sont utiles, mais elles ne suffisent pas, tant s’en faut ! Pour avoir l’apparence de la célébrissime Martha sur les photos de Sport Illustraded, il faut sans doute être passée sous le bistouri en plus de s’être fait injecter Botox et acide hyaluronique pour lisser ou combler les rides. Les pommettes ont peut-être été retouchées et les seins siliconés. Et tout cela ne suffirait pas sans les fines retouches de Photoshop, qui auront effacé les moindres défauts de ces clichés réalisés dans des conditions parfaites. L’ensemble donne un air figé, qui manque de naturel.
Je ne veux rien enlever à Martha, qui reste assurément une belle femme. N’empêche que son exploit devrait être marqué d’un astérisque, comme celui des sportifs dont les records ont été réalisés grâce à des produits dopants. Comme le dit Nathalie, ces photos sont « un pastiche de la femme de 20 ou 30 ans en maillot de bain ». À tout prendre, je préfère admirer les jeunettes.
J’ai commencé à écrire un ouvrage sur le vieillissement, dont le titre de travail temporaire est : Y a-t-il une vie après 65 ans ? La réponse est oui, bien sûr, mais à la condition de ne pas chercher la fontaine de jouvence. La vieillesse ne doit pas se donner des airs de jeunesse.
Comme je l’écris dans mon nouveau livre, le vieil âge n’est pas une tragédie, mais un art de vivre où l’on peut gagner en joie, en gratitude, en liberté et en sérénité. « La vieillesse complique la vie physique, écrit la journaliste Laure Adler, mais simplifie la vie morale. » Il est possible de devenir vieux sans se sentir vieux. D’accepter son âge sans pour autant devenir un vieux croulant. De se tenir en forme sans pour autant se prendre pour une jeunesse. Tout l’art de vieillir réside dans cette tension, dans cet équilibre délicat, entre reconnaître et accepter son état sans pour autant se laisser écraser par son âge.
Le vieillissement nous offre des années bonus, des années qu’on aurait très bien pu ne pas vivre. Mieux encore, on est surclassé. On poursuit sa route en première classe, délesté de l’obligation de gagner sa vie, de réussir sa carrière ou d’élever ses enfants. La vie nous donne un dernier rôle : celui de vieille ou de vieux. Ne le boudons pas. C’est un grand rôle. Le rôle ultime !
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Mon carnet a inspiré à une amie, Louise Prégent, le commentaire suivant :
Martha Stewart, comme toutes les femmes, peut faire ce qu’elle veut avec son corps. Si elle fait de l’argent avec celui-ci, tant mieux pour elle. Si elle peut paraître rajeunie, réellement ou avec artifices, c’est bien pour elle aussi. Cependant, nous, les femmes plus vieilles, ne sommes pas dupes : le corps vieillit et nous finirons en cendres dans pas grand temps. Si d’ici là on veut poursuivre encore la course à la beauté illustrée par la publicité pour nous vendre des produits, des soins, des chirurgies, allons-y. Si on a compris qu’on n’y arrivera pas malgré tout l’argent qu’on y a enfoui, on laisse ça à d’autres, c’est encore notre choix.
Devra-t-on sortir dans la rue pour revendiquer le droit au vieillissement et à ses signes? On en serait bien capables, on a l’expérience du combat pour la défense de nos droits.
Mon opinion est donc que les deux éditorialistes ont raison, mais je penche pour l’opinion de madame Collard : lâchez-nous!…